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d’ordre ni concert préalable, sous l’empire des mêmes craintes et des mêmes antipathies, une protestation spontanée contre les empiétemens de l’ultramontanisme était sortie des profondeurs du sentiment national. À cette ardeur gallicane le clergé répondit par une agitation pleine de colère. La chambre ecclésiastique affecta de voir dans les mesures réclamées une menace de schisme, et d’y reconnaître une suggestion calviniste. Décidée aux résolutions extrêmes pour étouffer ce qu’elle appelait une révolte, elle usa d’abord de ménagemens et tenta d’obtenir par la persuasion le retrait des projets et le désaveu des maximes. Ses plus habiles orateurs, l’onctueux évêque de Montpellier, Fenouillet, et le savant cardinal Duperron, vinrent haranguer, en grand appareil, avec une escorte de quatre-vingts prélats et seigneurs dans la salle du tiers-état.

Fenouillet parla le premier. Flattant la passion royaliste des députés, il maudit les doctrines et les attentats régicides : d’un style ardent et coloré, que relevait un débit pathétique, il peignit la terre de France « empourprée d’un sang précieux, qui conjurait les François éplorés de sauver les jours de leurs princes. » Les rois, s’écria-t-il, « sont les âmes tutélaires du monde, les images et les statues vivantes de Dieu. Oui, je me joins à vous, messieurs, pour demander que leur tête soit inviolable et sacrée. Qu’on dresse, si l’on veut, des colonnes publiques, qu’on mette sur la porte des villes et au front des maisons : Ne touchez pas à l’oint du Seigneur ! Anathème contre celui qui y touchera ! que toutes les furies le saisissent, et que l’horreur de ce crime détestable monte incessamment devant Dieu. » Le cardinal Duperron, insistant sur le point litigieux des rapports du spirituel et du temporel, déploya les ressources d’une dialectique pressante, d’un esprit fécond et d’une immense érudition. Son discours, publié tout au long dans le Mercure de 1615, dura trois heures. Par une habile riposte, par une sorte d’argument ad hominem, il toucha ses adversaires au vif en rappelant l’époque récente où le tiers ordre avait soutenu avec la même passion des principes opposés. « Il n’y a que vingt-cinq ans ceux de votre ordre, emportés par le tumulte du temps, voulurent establir en pleins estats une loy fondamentale toute contraire à celle de vostre article. Et maintenant vous en proposez une autre opposée à la leur, et vous voulez que les laïques la fassent jurer aux ecclésiastiques, que les laïques exigent en matière de foy le serment des ecclésiastiques ! Ainsi donc nostre foy sera sujette aux variétés, aux inconstances des affections des peuples qui changent tous les vingt-cinq ans ! Et ce seront les troupeaux qui guideront les pasteurs ! Et les enfans instruiront les pères ! et le disciple sera au-dessus du maistre ! »