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juste et vigoureuse. Et ces qualités ne sont pas une exception ; nous les retrouvons aussi frappantes, aussi soutenues, dans d’autres harangues politiques du même orateur et du même temps. Du Vair parla, avec un égal talent, avec un pareil succès, en des circonstances et des situations très diverses : au parlement, en 1588, après la journée des barricades ; à l’Hôtel de Ville, en 1590, comme député de Paris, pour s’opposer à l’entrée d’une garnison étrangère ; plus tard enfin, en 1597, à Marseille, à Aix, au parlement de Provence, où Henri IV l’avait envoyé pour éteindre les derniers feux de la guerre civile. Citons seulement un passage de sa Défense de la loi salique, écrite sous forme oratoire, et publiée à l’ouverture des états de la Ligue, en réponse aux attaques de la Sorbonne et des universités espagnoles : il y préludait à l’admirable discours de 1593. « Qui nous eust demandé, il y a vingt ans, ce qu’on pourroit appeler la ruine de l’estat de France, nous eussions répondu que ce seroit d’estre soubmis à l’estranger. La passion qui nous aveugle fait que nous ne pouvons nous imaginer aujourd’huy quelles désolations apportent ces changemens. Nous sommes tellement ruinés et misérables que tout le monde, excepté nous, a pitié de nous… On nous propose le roy d’Espagne ! Si l’on nous eust proposé cela autrefois, lorsque nous avions quelque amour de notre patrie et l’affection que nous devons au nom françois, le cœur nous eust aussitost bondy. Et comme la nature, sans autre advertissement, abhorre ce qui lui est contraire et mortel, nous eussions, sans en vouloir davantage discourir, à ce seul nom d’espagnol, rejeté une telle proposition et vomy dessus nostre colère. » Nous le demandons de nouveau : cette prose est-elle indigne de figurer dans nos histoires littéraires à côté des beaux vers qu’un même sentiment national, ennemi de la ligue et de l’Espagne, inspirait alors à nos poètes ? Pourquoi donc négliger ces monumens de notre ancien génie politique, et lorsque tant de pages sont consacrées à d’insipides versificateurs ou à d’ennuyeux sermonnaires, pourquoi refuser un chapitre aux orateurs des états-généraux ?

Bien qu’ils portent la marque, toute personnelle, d’un esprit original et supérieur, les discours politiques d’Henri IV ont plus d’un trait commun avec les harangues des états-généraux, et cette ressemblance est un de leurs éminens caractères. Ces discours, comme ceux de L’Hôpital et de du Vair, respirent un profond amour du peuple et de la patrie ; ils invoquent et défendent les principes d’humanité, de justice, de mutuelle tolérance proclamés par les meilleurs esprits du XVIe siècle : plus heureux que ses devanciers, Henri IV ne se contente pas d’affirmer ces principes ; il les traduit en actes, et les convertit en lois. Nous avons entendu à la tribune