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son épargne ? N’est-ce pas, en effet, faire injure au bon sens que de prétendre qu’un pays aussi bien partagé que la France, avec un sol fertile, un climat tempéré, situé entre trois mers, sillonné de fleuves et de rivières, doué d’une population laborieuse et économe, ne puisse soutenir la concurrence étrangère, ni pour l’industrie, ni pour l’agriculture, et qu’il ait besoin de protection pour pouvoir produire des fers, des tissus, du blé ou des animaux ? N’est-ce pas se jouer un peu de la crédulité d’autrui et se montrer ingrat envers la Providence, qui nous a si généreusement dotés ?

Pour le véritable homme d’état, qui n’a pas à se préoccuper de l’intérêt spécial de telle ou telle industrie prise isolément, mais seulement de celui du pays envisagé dans l’ensemble, les considérations qui précèdent doivent être suffisantes pour lui faire repousser les prétentions des protectionnistes. Mais peut-être ces argumens sont-ils de nature à laisser quelque doute dans l’esprit des cultivateurs, qui peuvent se demander si, tout en étant d’accord avec l’intérêt public, la liberté commerciale en matière agricole ne leur serait pas préjudiciable et s’ils n’auraient pas plus d’avantage à laisser leurs terres en friche qu’à les cultiver à perte. Nous allons donc examiner la question à ce point de vue particulier et, en passant en revue les divers produits agricoles, nous demander si ces craintes sont fondées.

Rappelons d’abord que jusqu’à ces dernières années l’agriculture a été très prospère, puisque depuis 1860 le prix des produits comme celui des terres, comme celui de la main-d’œuvre, n’a fait que s’accroître. Bien que les plaintes se fussent déjà produites antérieurement, ce n’est guère que depuis 1877 que les souffrances se sont manifestées d’une façon générale. Depuis cette époque, en effet, nos récoltes ont été insuffisantes, et il a fallu pourvoir par des importations aux besoins de la consommation. Ainsi la récolte du blé en France, qui en 1876 avait été de 95,440,000 hectolitres, a été


en 1877 de 100,146,000 hectolitres
en 1878 de 95,271,000 —
en 1879 de 82,200,000 —

Déduction faite des exportations, il a été importé


en 1876 + 6,546,000 —
en 1877 — 320,000 —
en 1878 + 17,000,000 —

En 1879 on en évalue le chiffre à 20,000,000.

Ces mauvaises années successives ont découragé beaucoup d’agriculteurs, qui, voyant les blés américains venir leur faire concurrence sur notre marché et arrêter la hausse sur laquelle ils comptaient pour se rattraper, ont imaginé, pour maintenir les prix, de réclamer un droit de 2 fr. 60 par hectolitre de blé étranger