Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêmes charges, et qui peuvent par conséquent, sur le marché français, faire aux nôtres une concurrence désastreuse. Ils ne demandent pas, disent-ils, des droits protecteurs, mais des droits compensateurs, dont l’objet serait de faire payer aux producteurs étrangers un impôt équivalent à celui que paient les producteurs indigènes. Le raisonnement est spécieux ; il a déjà été mis en avant en 1866, lors de l’enquête agricole qui a été faite à l’occasion du renouvellement du traité de commerce avec l’Angleterre, et il n’a pas gagné en vieillissant, car depuis lors l’agriculture n’a cessé de prospérer, malgré, l’accroissement des charges de toute nature que depuis lors nous avons dû subir. Mais ce qui fait ici le sophisme, c’est que l’on considère le droit dont on veut frapper le produit extérieur comme payé par le producteur qui l’envoie, tandis qu’il l’est en réalité par le consommateur qui le reçoit. Ce sont en effet les marchés des lieux de consommation qui règlent les prix. Si ces marchés sont bien pourvus, eu égard au nombre des consommateurs, les prix baissent ; ils haussent dans le cas contraire. Or en imposant un droit de 3 francs, par exemple, par hectolitre sur le blé à son entrée en France, on hausse d’autant le prix auquel le producteur étranger peut le livrer. S’il le vendait 25 francs l’hectolitre, il le portera à 28 fr. et abandonnera l’opération s’il ne trouve pas d’acheteur à ce prix. Il en résultera donc une diminution dans l’approvisionnement, et une hausse dans le prix du blé, qui profitera, il est vrai, au cultivateur indigène, mais que supportera tout entière le consommateur français. Quant au producteur étranger, il n’éprouvera d’autre préjudice qu’un ralentissement de son commerce et une diminution de ses débouchés. Ainsi, les taxes douanières, comme le fait remarquer M. Gréa, correspondant du Jura, se traduisent toujours par une augmentation d’impôts, et il est assez singulier de voir tant de personnes réclamer comme une faveur une aggravation des charges qui pèsent aujourd’hui sur elles. On appelle cela compensation, c’est tout le contraire ; pourtant le mot a réussi[1].

L’établissement de droits compensateurs est donc un moyen très habile, imaginé par les protectionnistes, pour faire payer par les consommateurs, c’est-à-dire par le public, les impôts dont ils sont grevés. Au lieu de demander une diminution des charges, peut-être exagérées, qu’ils supportent, ils trouvent plus commode de se décharger sur autrui. Ils ont beau s’en défendre avec une feinte indignation, leur système aboutit nécessairement à une surélévation du prix des denrées nécessaires à la vie. Lorsqu’il s’agit d’objets manufacturés, il n’y a que demi-mal puisqu’après tout ce n’est

  1. Enquête sur la situation de l’agriculture.