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entré dans quelques-uns des motifs des guerres qui ont suivi. Le maréchal Ney acheta une maison ; l’achat et la dépense qu’il y fit lui coûtèrent plus d’un million ; et il exprima souvent des plaintes de la gêne qu’il éprouvait, après une pareille dépense. Il en fut de même du maréchal Davout. L’empereur leur ordonnait à tous cet achat d’un hôtel, qui entraînait les frais des plus magnifiques établissemens. Les riches étoffes, les meubles précieux ornaient ces belles demeures, les vaisselles brillaient sur leurs tables ; leurs femmes resplendissaient de pierreries ; les équipages, les toilettes se montaient à l’avenant. Ce faste plaisait à Bonaparte, satisfaisait les marchands, éblouissait tout le monde, et tirait chacun de sa sphère ordinaire, augmentait la dépendance, enfin remplissait parfaitement les intentions de celui qui le fondait.

Pendant ce temps, l’ancienne noblesse de France, vivant simplement, rassemblant ses débris, ne se trouvant obligée à rien, parlant avec vanité de sa misère, rentrait peu à peu dans ses propriétés, et se ressaisissait de ces fortunes que nous leur voyons étaler aujourd’hui. Les confiscations de la convention nationale n’ont pas été toujours fâcheuses pour la noblesse française, surtout quand ses biens n’ont point été vendus. Avant la Révolution, elle se trouvait fort endettée, car le désordre était une des élégances de nos anciens grands seigneurs. L’émigration et les lois de 1793, en les privant de leurs propriétés, les affranchissaient de leurs créanciers, et d’une certaine quantité de charges affectées aux grandes maisons. En retrouvant leurs biens, ils profitaient de cette libération. Je me souviens que M. Gaudin, ministre des finances, conta une fois devant moi que, l’empereur lui demandant quelle était, en France, la classe la plus imposée, le ministre lui répondit que c’était encore celle de l’ancienne noblesse. Bonaparte en fut comme effrayé, et lui répondit : « Mais il faudrait pourtant prendre garde à cela ! »

Il s’est fait, sous l’empire, un bon nombre de fortunes médiocres ; beaucoup de gens, de militaires surtout, qui n’avaient rien avant lui, se trouvaient possesseurs de dix, quinze ou vingt mille livres de rentes, parce qu’à mesure qu’on était moins sous les yeux de l’empereur, on pouvait vivre davantage à sa fantaisie, et mettre de l’ordre dans ses revenus ; mais il reste peu de ces immenses fortunes si gratuitement supposées aux grands de sa cour, et sur ce point comme sur beaucoup d’autres, le parti qui, au retour du roi, pensait qu’on enrichirait l’état en s’emparant des trésors qu’on disait amassés sous l’empire, conseillait une mesure arbitraire et vexatoire qui n’aurait eu aucun résultat.