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et sereine ; car elle n’avait aucune apparence de passion ; son âme et son esprit la portaient vers un profond repos.

La grande-duchesse de Berg s’appliquait à se montrer aimable pour tous, à Fontainebleau. Elle ne manquait pas de gaîté dans l’humeur, et savait prendre parfois le ton de la bonhomie. Établie dans le château à ses propres frais, elle y vivait avec luxe, ordonnait toujours une table somptueuse. Elle était servie en vaisselle dorée, ce qui n’arrivait point, même chez l’empereur. Elle invitait tous les habitans du palais, les uns après les autres, accueillait de fort bonne grâce même ceux qu’elle n’aimait point, et semblait ne penser qu’au plaisir ; mais elle ne perdait point son temps, cependant. Elle voyait souvent alors M. de Metternich, alors ambassadeur d’Autriche. Il était jeune, d’une jolie figure ; il paraissait remarquer la sœur de l’empereur ; elle s’en aperçut facilement, et, dès cette époque, soit par esprit de coquetterie, ou plutôt par suite d’une ambition précautionneuse, elle commença à accueillir avec assez d’attention les hommages d’un ministre qui, disait-on, avait du crédit à la cour, et qui, par la suite, pourrait peut-être la servir. Qu’elle ait eu d’avance, ou non, cette idée, cet appui ne lui a point manqué[1].

De plus, considérant le crédit de M. de Talleyrand, elle s’efforça de se rapprocher de lui, tout en conservant le plus secrètement qu’elle put des rapports avec Fouché, qui mettait assez de précautions pour la voir, parce que l’empereur manifestait toujours du mécontentement de toute liaison. Nous la vîmes agacer M. de Talleyrand, dans le salon de Fontainebleau, lui parler de préférence, sourire à ses bons mots, le regarder quand elle disait quelque chose qui pouvait être remarqué, et enfin le lui adresser. M. de Talleyrand ne se montra point rétif, et se rapprocha de son côté. Alors les entretiens devinrent un peu plus graves. Mme Murat ne dissimula point à M. de Talleyrand qu’elle voyait avec envie ses frères occuper des trônes et qu’elle sentait en elle la force de porter un sceptre ; elle lui reprocha de s’y opposer. M. de Talleyrand objecta le peu d’étendue d’esprit de Murat ; il plaisanta sur son compte, et ses plaisanteries ne furent point repoussées amèrement ; au contraire, la princesse livra son mari d’assez bonne grâce ; mais elle objecta qu’elle ne lui laisserait point à lui seul la charge du pouvoir, et peu à peu je pense qu’elle amena M. de Talleyrand à lui être moins contraire. Pendant ce temps, elle caressait aussi M. Maret, qui reportait lourdement à l’empereur des éloges répétés de l’esprit distingué de sa sœur. L’empereur avait, de lui-même,

  1. Les Mémoires du prince de Metternich qui viennent d’être publiés, et qui confirment d’une façon inattendue bien des traits de cet ouvrage, parlent de ce séjour de l’empereur à Fontainebleau, mais ne font aucune allusion à ce détail. (P. R. )