Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’asseyait en silence ; un homme demeurait debout contre la muraille, à la suite des personnes qu’il trouvait déjà dans le salon. L’empereur s’y promenait ordinairement en long et en large, quelquefois silencieusement, et rêvant sans se soucier de ce qui l’entourait, quelquefois faisant une question qui recevait une réponse courte, ou bien entamant la conversation, c’est-à-dire l’occasion de parler à peu près seul, car on éprouvait toujours, et alors plus que jamais, quelque embarras à lui répondre. Il ne savait, et, je crois, ne voulait mettre personne à l’aise, craignant la moindre apparence de familiarité, et inspirant à chacun l’inquiétude de s’entendre dire, devant témoins, quelque parole désobligeante. Les cercles se passaient de la même manière. On s’ennuyait autour de lui, et il s’ennuyait lui-même ; il s’en plaignait souvent, s’en prenant à chacun de ce silence terne et contraint qu’il imposait. Quelquefois, il disait : « C’est chose singulière, j’ai rassemblé à Fontainebleau beaucoup de monde, j’ai voulu qu’on s’amusât, j’ai réglé tous les plaisirs, et les visages sont allongés, et chacun a l’air bien fatigué et triste. — C’est, lui répondait M. de Talleyrand, que le plaisir ne se mène point au tambour, et qu’ici comme à l’armée, vous avez toujours l’air de dire à chacun de nous : Allons, messieurs et mesdames, en avant, marche ! » Il ne s’irritait point de ces paroles, il était alors fort en train, et M. de Talleyrand passait de longues heures avec lui, et on lui laissait le droit de tout dire. Mais dans un salon de quarante personnes, M. de Talleyrand se tenait en aussi grand silence que tout le monde.

De toute la cour, la personne que dans ses voyages le soin de ses plaisirs agitait davantage était sans aucune comparaison M. de Rémusat. Les fêtes et spectacles étaient dans les attributions du grand chambellan, et M. de Rémusat, en sa qualité de premier chambellan, avait la responsabilité de tout ce travail. Ce mot convient parfaitement, car la volonté impérieuse et difficile de Bonaparte rendait cette sorte de métier assez pénible. « Je vous plains, lui disait M. de Talleyrand, il vous faut amuser l’inamusable. »

L’empereur voulait deux spectacles par semaine, et qu’ils fussent toujours variés. Les acteurs de la Comédie-Française en faisaient seuls les frais, conjointement avec quelques représentations d’opéras italiens. On ne jouait guère que des tragédies, souvent Corneille, quelques pièces de Racine, et rarement Voltaire, dont Bonaparte n’aimait point le théâtre. Après avoir approuvé d’avance un répertoire réglé pour le voyage, et positivement signifié qu’on voulait pour Fontainebleau les meilleurs acteurs de la troupe, il entendait que les représentations de Paris ne fussent point interrompues ; les précautions étaient prises. Tout à coup, par suite d’une fantaisie bien plutôt que d’un désir, il détruisait l’ordre