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justes. Mais qui délivrera ces pauvres possédés, hurlant dans de continuelles douleurs ? C’est le malin, qui, par punition de nos péchés, est plus puissant que nous. Puisque par des exorcismes licites nous ne savons combattre ses effets pernicieux, il ne nous reste plus qu’une seule ressource, c’est de châtier plus cruellement les sorcières qui l’ont amené. »

Voilà le suprême moyen, voilà la panacée merveilleuse. Comme le diable ne peut être atteint directement, il faut agir sur ceux qui ont fait pacte avec lui, sorciers, sorcières, lamies, gaias, stryges, nécromanciens, magiciens, vampires. De là toute une procédure, barbare, terrible, expéditive, dont on ne peut lire le récit sans frémir, surtout quand on songe que, parmi les accusés, il n’y avait que des innocens. D’abord il y a les indices. Avant d’être traîné devant le juge, il faut qu’il y ait présomption de sorcellerie. C’est peu de chose que ces indices. Il suffit d’un ou deux témoins. Celui-ci déclare que son champ est ravagé par la grêle et les insectes, alors que le champ de sa voisine est intact et produit de beaux fruits. En faut-il plus pour que le maléfice soit prouvé ? Cette femme a des cheveux noirs, et on ne la vit jamais pleurer ; de plus elle est belle. Autant de preuves pour qu’elle se soit donnée à Satan, car le diable aime les femmes qui ont de longs cheveux et un beau corps. Puis il y a le nom : sorcellerie damnable que de s’appeler Verdelet, Joly-Bois, Saute-Buisson, Verdure, Esprit familier, Blanc démon, tous noms maudits, qui sont ceux du diable. A la vérité, Del Rio réprouve ces indices qu’il estime insuffisans. Un des indices les plus graves, c’est d’être fille de sorcière. L’âge n’a pas d’importance. Les jeunes sorcières sont aussi instruites que les vieilles, car c’est Satan qui leur donne la science. Un jour, raconte Sprenger, un villageois qui se promenait dans les champs avec sa petite fille âgée seulement de huit ans, voyant l’aridité de la campagne, s’écria qu’il voudrait bien avoir de la pluie ; alors l’enfant lui dit naïvement qu’elle était capable de faire tomber la pluie. « Comment cela ? lui dit le père étonné. — C’est, dit la petite, ma mère qui me l’a appris ; elle m’a menée à un maître qui m’a donné pouvoir de faire tomber l’eau du ciel quand je voudrais. » Ce disant, elle prit un peu d’eau dans un torrent voisin, et la jeta en invoquant l’appui du démon. Aussitôt la pluie inonda la campagne. Le père terrifié retourne chez lui, et mène sa femme devant le juge. La malheureuse avoue, et est brûlée ; quant à l’enfant, elle eut sa grâce et fut consacrée à Dieu.

Dès que les témoins ont été entendus, et qu’il y a des indices suffisans de sorcellerie, il s’agit de se rendre maître de la sorcière à tout prix ; il faut entrer dans sa demeure, en parcourir attentivement tous les recoins, chercher s’il n’y a pas en quelque cachette des instrumens de sorcellerie. Si elle a une servante, il faut