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Quelque diligence que mettent les éditeurs, les trente ou quarante volumes qu’ils nous promettent demanderont bien des années. J’entends des impatiens qui s’en plaignent et qui accusent la longueur ou le grand nombre des notes qui retardent l’achèvement de l’édition. Pour moi, j’avoue qu’après avoir tout lu avec soin dans les deux volumes qui viennent de paraître, je ne vois pas ce qu’on pourrait raccourcir ou retrancher sans quelque dommage. Il ne reste donc qu’à souhaiter à ceux qui ont entrepris ce grand labeur le courage de le poursuivre ; ils doivent s’appliquer ces belles paroles que M. Littré a placées en tête de son Dictionnaire : « Qui peut compter sur plusieurs années de vie, de santé, de travail ? il ne faut pas se les promettre, mais il faut faire comme si on se les promettait, et pousser activement l’entreprise commencée. » Ils le feront, j’en suis sûr ; et j’espère aussi qu’ils trouveront autour d’eux autant de bonne volonté qu’ils ont eux-mêmes de zèle et de dévouaient. Ils ont besoin surtout, pour que le succès de l’œuvre soit complet, que les grands dépôts de l’état ne leur soient pas fermés. À ce sujet, M. Léopold Delisle, en présentant les deux volumes de M. de Boislisle à l’Académie des inscriptions, a prononcé quelques paroles qui ont produit une impression profonde sur l’assemblée. Rappelant que les papiers de Saint-Simon, réclamés par les archives des affaires étrangères, y sont enfermés depuis 1760, sans que presque personne ait pu les voir, il a demandé qu’on mît fin à cette captivité que rien n’excuse ou n’explique. Nous possédons sans doute les Mémoires qui ont été restitués, en 1828, à un petit-neveu de l’auteur ; mais nous n’avons pas les éclaircissemens de toute sorte, les études innombrables sur des points particuliers, qu’il y avait joints, et qui en sont le complément nécessaire ; surtout nous n’avons pas sa correspondance, qui le montre, dit-on, sous un jour nouveau, qui dans tous les cas doit permettre de rectifier ses injustices, de saisir ses impressions véritables au moment même où se passaient les événemens et avant que le temps les eût transformés et comme aigris dans son souvenir. Il faut qu’on donne enfin au public ces documens qui lui appartiennent ; il faut qu’en attendant qu’ils soient imprimés on permette aux travailleurs sérieux de les consulter. Nous ne doutons pas que l’administration n’écoute ces justes demandes, qu’elle ne préfère à de vieilles routines difficiles à justifier l’intérêt de l’histoire et des lettres françaises, et qu’elle n’aide de tout son pouvoir le savant courageux qui a l’ambition honorable de donner des Mémoires de Saint-Simon une édition complète et définitive.


GASTON BOISSIER.