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hallucinations et, dans le silence de son labeur nocturne, il entend « des coups » mystérieux, qui l’avertissent qu’un de ses frères, ou l’une de ses sœurs, ou l’un de ses maîtres, doit mourir dans l’année. Toute sa religion ne l’empêche pas de croire fermement à toutes « voies extraordinaires » et notamment à la sorcellerie. « Je sais bien, dit-il, qu’à Paris, où l’on se pique d’une certaine force d’esprit, la plupart des gens qui passent pour les plus sensés regardent comme une faiblesse de s’imaginer qu’il y ait des sorciers et qu’on doive les appréhender. » Mais il n’a pas moins l’inébranlable entêtement de l’homme qui croit avoir vu de ses yeux. Ne connaît-il pas de ses amis et de ses fermiers sur les bestiaux de qui a d’insignes scélérats avaient jeté quelque maléfice ? » Il croit à bien d’autres choses encore, à la transmutation des métaux, par exemple : « Je sais bien que beaucoup de gens font passer cela pour une chimère, et le sieur de Furetière en parle de même en divers endroits. » Mais Pierre Thomas pense par lui-même. Et puis, il a des preuves. En présence du roi Louis XIII, « d’heureuse mémoire, » un nommé du Bois « changea en un or très fin quelques balles de mousquets de soldats qui étaient actuellement au Louvre ? » Le fait est constant : il le tient de M. d’Andilly, qui lui-même le tenait de M. de Chavigny, ministre d’état. Bien plus, il a vu de ses yeux encore entre les mains de la duchesse d’Aiguillon, une médaille commémorative de l’événement, et cette médaille lui venait du cardinal de Richelieu, présent à la métamorphose. Vous voyez qu’il ne s’avance pas sans de bonnes et respectables autorités.

Aussi bien, à défaut de si solides et convaincans témoignages, une seule raison suffirait à lui donner confiance dans les manœuvres de l’alchimie : c’est la « certitude qu’il a des remèdes excellens, pour la guérison des maladies les plus incurables, qui se découvrent dans le cours d’un travail si curieux. » Lui-même est possesseur de secrets importans, il connaît des potions « très souveraines » et des électuaires très compliqués. Il prend plaisir, comme un autre Purgon, à les préparer de ses propres mains. Une fois, il n’a pas employé moins de six jours, « à seize heures par jour, » à sublimer un soufre « d’une vertu admirable, » également spécifique pour les indigestions, syncopes et vapeurs. Il en donne tout au long la recette « pour la satisfaction de ceux qui aiment les bons remèdes, » comme les cataplasmes de « poireaux fricassés dans la poêle avec un peu de vin » ou les « ptisannes de salsifis coupés par rouelles. » Il a vu particulièrement des effets merveilleux de la pierre de Butler, de l’or potable de Cornaro, et du précipité diaphorétique. Le triomphe de ce dernier remède est la guérison des « cancers furieux. » Aussi, comme l’excellent homme se rit des prescriptions de la faculté ! Il accompagne les médecins au chevet des malades, il les regarde faire, il les aide même au besoin, et quand ils sont partis, d’administrer