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précis sec et décharné. Là-dessus, étonnez-vous qu’on se soit fait si souvent des hommes et des choses du XVIe siècle une si fausse idée !

On peut donc regarder cette édition des Mémoires de du Fossé comme étant vraiment la première. D’ailleurs, au texte rétabli dans son, intégrité, M. Bouquet a joint d’intéressans et nombreux appendices, toute une correspondance de son auteur, beaucoup de notes et une longue introduction. De l’introduction, de la correspondance, des appendices, nous n’avons rien à dire, que beaucoup de bien. L’annotation, généralement discrète, prêterait parfois à la critique. Ainsi, je ne voudrais pas que dans un livre de ce genre, dont la publication est vraiment œuvre d’érudit, on invoquât au bas des pages, comme une autorité, le Dictionnaire de biographie et d’histoire de MM. Bachelet et Dezobry. Cette estimable compilation a sa place marquée dans les bibliothèques scolaires, ne la détournons pas de sa destination naturelle. Je me plais souvent à rêver que ces sortes de Dictionnaires ont été merveilleusement inventés pour vulgariser l’erreur, qu’on a trouvé sans doute qui n’était pas assez répandue ; j’ai parfois le regret, en me réveillant, de constater que le rêve est bien une réalité. Cela n’est rien. Une autre note soulève une critique plus grave. M. Bouquet rencontre chemin faisant l’occasion de dire quatre mots du jansénisme, et cite là-dessus Tallemant des Réaux. Passe pour Tallemant. Mais M. Bouquet s’approprie la remarque suivante de l’annotateur de Tallemant : « que sans les jésuites, ces subtiles querelles sur la grâce seraient restées dans les écoles. » Voilà ce qu’il ne faut ni dire, ni croire, ni laisser passer. Les querelles du XVIIe siècle sur la grâce ne sont pas plus subtiles que les querelles du moyen âge sur les universaux ne sont scolastiques. Les noms de jansénisme et de molinisme sont peut-être surannés, à plus forte raison les noms de réalisme et de nominalisme. Peut-être même est-il facile, en pareil sujet, de railler agréablement Mais je voudrais bien savoir quelles plaisanteries, feront jamais que toutes les discussions sur la grâce ne soient pas au résumé des discussions sur le point de savoir si nous sommes libres ou non, et dans quelles limites notre liberté s’exerce. Qu’y a-t-il de moins suranné ? Comme aussi je voudrais bien savoir si le problème qui s’agitait jadis entre la lumière brillante de l’ordre des franciscains et le prince des nominalistes n’est pas l’éternel problème qui s’agite entre métaphysiciens, savoir, si l’idée du monde est la trace dans notre intelligence d’une réalité du dehors, ou si la prétendue réalité du monde ne serait que la projection de nos idées au dehors de nous-mêmes ? Que voulez-vous de plus actuel ? On ne doute pas, à la vérité, que nos pères ne fussent de pauvres sires ; on demande seulement s’il faut croire que. le génie des Pascal, des Malebranche, des Bossuet et des Fénelon se soit dépensé en pure perte sur des subtilités qui ne valussent pas seulement la peine d’être discutées ?