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africain. Si l’argument était avancé sérieusement, il serait déplacé dans la bouche d’un Brésilien. Nulle part en effet ne règnent moins qu’au Brésil les préjugés de race et de couleur. L’esclave affranchi devient l’égal du blanc. Du jour de son émancipation, il est traité sur le pied de l’égalité-la plus parfaite. Nous avons rencontré à New-York, en 1866, après la guerre de la sécession, plus d’un Yankee, abolitioniste enthousiaste, qui n’aurait pas souffert la présence d’un nègre dans une voiture honorée de sa présence. Dans les tramways de Rio, le même Yankee serait souvent forcé de s’asseoir entre deux hommes de couleur, et, si les hommes de couleur remplissaient le tramway, il devrait se contenter de rester sur le marchepied sans que personne eût l’idée de s’en étonner. Au milieu d’une des rues les plus fréquentées de Bahia, j’ai vu, à la suite d’une querelle, un nègre meurtrir de coups de bâton un blanc qui le poursuivait. La foule s’amassait et se demandait lequel des deux avait les torts, du frappeur ou du frappé ; mais, avec l’indolence propre au pays, personne ne songeait à les séparer. Du temps où j’ai visité les États-Unis du nord, dans les états les plus anti-esclavagistes, si pareil fait avait pu se produire, la foule, avant tout examen, aurait assommé l’homme de couleur. Dans ce parallèle, le Brésilien a tout l’avantage ; mais, comme il pourrait bien ne pas le conserver si l’on poussait trop, loin la comparaison, nous oserons lui conseiller de ne pas compromettre sa supériorité aux yeux des étrangers par des plaisanteries propres à faire douter de sa tolérance et de son libéralisme.

L’insuffisance de la population a pour conséquence forcée le peu de développement de la production locale. Un immense empire dont la fertilité est peut-être unique au monde, dont les côtes ont plus de 7,000 kilomètres d’étendue, dont les ports principaux, véritables bras de mer, pourraient abriter bord à bord tous les navires des nations de l’Europe, un empire en un mot qu’on dirait créé pour approvisionner de matières premières et de produits naturels toutes les autres contrées du globe, voit la valeur de ses exportations dépasser à peine 500 millions de francs. Le café, le sucre, les gommes élastiques (caoutchouc, gutta-pecçha, etc. ), les cuirs, le tabac, le coton, une herbe appelée matéT l’or et les diamans en constituent le principal élément.

Longtemps le sucre a formé la plus importante source de revenus du Brésil ; maintenant la production de cette denrée n’occupe plus que le second rang. Les procédés employés pour extraire le jus de la canne étant restés tels que les premiers occupans du sol les avaient introduits, il en est résulté que les produits bruts expédiés à l’étranger se sont trouvés, inférieurs en qualité à ceux des autres pays producteurs, que les prix s’en sont ressentis et que les