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On peut trouver, d’autre part, que Condorcet se laisse quelque peu aller à la chimère quand il demande non-seulement une éducation identique pour les deux sexes, mais encore une éducation donnée en commun. Il pense que les mœurs gagneront à un rapprochement journalier qui dissipera les illusions entretenues par la distance et amortira l’effervescence des sens surexcités par l’isolement. — Les écoles mixtes ont du bon pendant le premier âge ; mais ne serait-il pas dangereux de prolonger le contact ? Et que penser de l’espoir caressé par Condorcet d’utiliser l’amour comme moyen d’émulation dans les classes ?

L’organisation scolaire proposée par Condorcet se distingué heureusement de celle de Talleyrand en ce qu’elle multiplie les établissemens d’instruction, augmente le nombre des écoles primaires, enrichit les programmes d’études et inaugure un large système de décentralisation de l’enseignement supérieur. — On devait s’attendre qu’un savant illustre réduirait dans l’enseignement secondaire la part du latin et subordonnerait les lettres aux sciences. Enfin l’homme aux yeux de qui l’instruction est le grand promoteur du progrès ne pouvait manquer d’en réclamer la gratuité.

La convention s’abandonna d’abord à l’utopie. Deux projets sages, libéraux, un peu timides même, de Lanthénas et de Lakanal, furent rejetés dans l’ombre par l’apparition d’un écrit posthume de Lepelletier de Saint-Fargeau, qui fut chaleureusement accueilli. Imitateur peu original de la constitution Spartiate et de la république de Platon, Lepelletier veut « que tous les enfans, les filles comme les garçons, les filles de cinq à onze ans, les garçons de cinq à douze ans, soient élevés en commun, aux frais de l’état et reçoivent pendant ces six ou sept années la même éducation. » Il y a plus, non-seulement la nourriture, mais le costume seront identiques. C’était aussi l’idéal de Saint-Just ; il demande que jusqu’à seize ans les garçons soient nourris par l’état. Il est vrai que le régime est frugal : des raisins, des fruits, des légumes, du laitage, du pain et de l’eau. Le costume est de toile en toute saison. Plus libéral pourtant que Lepelletier, Saint-Just ne soumet pas les filles à la même discipline et préfère qu’elles soient élevées dans la famille.

Enfermés dans de grands collèges de cinq à six cents internes, les enfans des deux sexes sont uniformément astreints par Lepelletier aux travaux manuels. Ils cultiveront la terre. Si le collège n’en a pas assez à sa disposition, on les conduira sur les routes pour, y entasser ou y répandre des cailloux. Quant aux exercices intellectuels, ils sont les mêmes que Condorcet avait déjà inscrits dans son programme : lecture, écriture, calcul, morale, économie domestique, récits d’histoire. Rousseau ne pouvait être oublié : jusqu’à douze