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événement, grave ou léger, qui détermine l’éclosion de la maladie qui couvait depuis longtemps. Souvent cet événement est une frayeur, une émotion violente, un chagrin, une désillusion. C’est alors que, dans les accès de délire, reparaissent sous la forme d’hallucinations les choses et les personnes qui ont provoqué cette émotion, cette frayeur, ce chagrin. Cette influence du passé établit une différence notable entre le délire des fous et celui des hystériques. En général, chez un fou, les visions n’ont pas de rapport immédiat avec les événemens antérieurs, quels qu’ils soient, tandis que, chez une hystérique, presque toujours la forme du délire est déterminée par un incident qui a joué autrefois un rôle important dans la vie de la malade. Quant aux crapauds, aux rats et aux autres bêtes immondes, c’est un genre d’hallucinations qui se retrouve dans tous les délires. Pour peu que la fièvre dérange les fonctions cérébrales, immédiatement apparaissent des serpens, des rats qui courent dans la chambre, grimpent sur le lit. Il en est de même chez les alcooliques. Ils ont tous des visions d’animaux immondes qui viennent les infecter de leur présence. Il semble que l’intelligence de l’homme, toutes les fois que ses fonctions sont perverties, revienne à l’état de nature et ne puisse trouver comme image de terreur et de dégoût que les animaux malfaisans qui excitaient la terreur et le dégoût des premiers âges de l’humanité.

La période de délire qui marque la fin de l’accès démoniaque est quelquefois assez courte. Mais le plus souvent elle se prolonge pendant plusieurs heures. Il n’est pas rare qu’elle persiste quelques jours encore. Les fonctions cérébrales ont été profondément troublées, et c’est avec une grande lenteur qu’elles reviennent à leur état normal. Ce mot n’est-il pas bien ambitieux pour caractériser l’intelligence des hystériques, telle qu’on l’observe dans l’intervalle des accès ? Assurément l’intelligence n’est pas éteinte ; la mémoire est conservée, cette clé de voûte de l’édifice intellectuel ; mais les autres facultés sont singulièrement perverties. On s’en rend bien compte en étudiant les mœurs et les conversations des démoniaques de la Salpêtrière. La journée se passe à rire sans fin de faits qui n’ont rien de lisible, de la fille de service qui passe, par exemple, du lit qui est mal fait, d’un oiseau qui se perche près de la fenêtre, d’un bonnet qui est mal attaché. Les mêmes causes peuvent aussi bien provoquer les larmes. Ce sont toujours des discours interminables, des récriminations, des indignations noyées dans un flux de paroles. Au milieu de ces phrases, une agitation continuelle, qui n’a pas de but et qui ne s’explique pas. Il faut mettre des fleurs au chevet du lit, un ruban à la coiffure, se parer de chiffons insignifians ; et cette recherche contraste souvent avec