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on dirait que l’artiste italien eût voulu marquer par là combien le sujet demeurait étranger à sa nature. C’est avec le même sentiment de la mesure que les maîtres de l’époque surent dégager de la masse des miracles et des légendes du catholicisme les traits les moins faits pour blesser le goût, les plus propres à devenir une fête pour les yeux aussi bien que pour l’âme. Ils empruntèrent à l’Olympe classique ses formes les plus idéales et les plus divines, et au ciel des chrétiens, en revanche, ses données les plus naturelles et les plus humaines, — compromis magnanime et qui seul put ramener l’équilibre entre l’infini et le fini, faire concorder les deux choses au fond aussi contradictoires, — res dissociabiles, — que le spiritualisme chrétien et la beauté plastique.

Combien différent, par contre, est le spectacle que présente notre peinture à partir de la seconde moitié de ce même XVIe siècle ! Je ne parle pas, bien entendu, des Vénitiens dont les destinées furent aussi distinctes que le développement a été original et indépendant : je parle des successeurs et continuateurs directs de l’héroïque génération qui avait illustré le pontificat de Jules II et de Léon X, les maniéristes, les naturalistes, les éclectiques, comme on les a appelés depuis. Déjà ces dénominations même indiquent l’effondrement de cette unité de doctrine qui, malgré les aptitudes et les aspirations diverses des maîtres précédens, avait donné à leurs œuvres un air de famille, un grand air d’une noblesse et d’une distinction incomparables. A l’époque où nous sommes arrivés, il n’y a plus de règle suprême, de canon de beauté pour la conception artistique ; c’est le règne de l’arbitraire et du caprice, non-seulement le caprice du peintre, mais de l’amateur qui commande le tableau, du public qui impose son goût, et qui ne veut plus que des coups et des tours de force. Dès ces premières années, Vasari, le disciple de Michel-Ange et l’historiographe de l’art de ce temps, ne se fait pas faute de célébrer toute difficulté vaincue, tout raccourci prestement enlevé, comme autant de manifestations du sublime. On s’ingénie à produire des atti et des académies, c’est-à-dire à représenter le corps humain dans des attitudes théâtrales sans cause et dans des mouvemens violens sans nécessité. Dans les vastes compositions, on croit faire grand en faisant nombreux, en remplissant le tableau d’une multitude de figures dépourvues d’action et de signification. Le talent est parfois encore immense, l’habileté du pinceau vraiment stupéfiante ; mais aucun souci de la vérité idéale, aucune préoccupation de l’harmonie et de l’équilibre du sentiment et de la forme, tout est sacrifié à la recherche du pathétique. L’Évangile n’est plus l’idylle terrestre ou céleste, touchante ou sublime des grands maîtres de la renaissance ; il devient un drame lugubre, un mélodrame en mille scènes diverses, poignantes et