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déclare qu’il faut se réjouir de ce que la victoire est décisive ; on ne se battra plus, la paix est le premier des biens. Le clerc d’avoué, dont les parens ont quelque fortune, insinue qu’après tout le chevalier de Saint-George a des droits ; il est l’héritier légitime de son père, et il est bon que les fils héritent de leur père. La cabaretière est prête à attester que les papistes sont de bons vivans et de bonnes pratiques, qu’on les voit souvent dans les auberges et que leur argent en vaut un autre. Le montreur de marionnettes prend philosophiquement son parti de la catastrophe ; il ne déteste dans ce monde que les presbytériens, parce qu’ils sont les ennemis des spectacles. L’employé de l’accise est plus soucieux ; il tient à sa religion, et ce qui est plus grave, il avait une bonne place, il craint de la perdre. Quant à l’aubergiste, il n’aime pas beaucoup les changemens. « On n’est sûr que de ce qu’on a, s’écrie-t-il, et ce qu’on a vaut souvent mieux que ce qu’on aura ; les maladies arrivent à cheval, elles s’en retournent à pied. » Là-dessus, il sort de sa cuisine pour aller serrer son argent dans son bureau et retirer les clés de ses armoires. Ce qu’on appelle l’opinion publique, c’est l’opinion des maîtres d’école, des clercs d’avoués, des employés de l’accise, des montreurs de marionnettes, des aubergistes et quelquefois aussi de la femme de l’aubergiste, et leur penchant commun est de ne s’attacher fortement qu’aux institutions qui ne compromettent pas la prospérité de leurs petites affaires. Dans le roman de Fielding, l’ancien magister et son ami le gratte-papier boivent deux rasades de double bière à la santé des Stuarts ; quand ils apprendront le lendemain que le prétendant est en fuite, ils en boiront quatre à la santé de la maison de Hanovre. Ils font grand cas de la liberté et de la chambre des communes, mais la paix publique leur tient encore plus au cœur, et ils se dégoûteraient bien vite du parlementarisme s’ils arrivaient à se convaincre que, dans le régime parlementaire, la seule institution permanente est la crise inexplicable.

Il faut souhaiter que l’année qui commence soit moins pluvieuse que celle qui finit, qu’elle ait un beau printemps, un été chaud, un hiver clément. Il faut souhaiter aussi, dans l’intérêt des institutions qui nous sont chères, que les gouvernemens libres fassent meilleure figure, qu’ils. aient un sang plus riche, un teint plus rassurant, que les parlemens se livrent à de sages réflexions, que les oppositions s’astreignent à observer les règles du jeu, que les majorités renoncent à détruire les cabinets qu’elles avaient promis d’appuyer, et qu’en général les politiciens de toute espèce n’attendent pas d’être au pouvoir pour se convertir au good common sense.


G. VALBERT.