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aient fait mauvaise figure à l’ennemi, ni fourni beaucoup de chefs à l’émeute. Je ne sache pas qu’ils soient moins bons Français que nos lycéens. Or c’est précisément cela qu’il eût fallu prouver, et tant qu’on ne l’aura pas fait, tant qu’on ne nous aura pas démontré que les quatre-vingt-dix élèves de la rue des Postes morts au champ d’honneur en 1870 étaient de mauvais citoyens, il nous sera tout à fait impossible de prendre au tragique les citations de M. Jules Ferry[1]. En fait d’argument, Coulmiers et Patay valent bien, somme toute, la bulle Unam sanctam et le Syllabus.

Mais laissons ce point et passons au suivant. M. le ministre de l’instruction publique s’est donné beaucoup de peine pour prouver que sa loi serait « efficace » et qu’elle ne porterait néanmoins aucun trouble sérieux « dans les consciences catholiques. »

Efficace ? Matériellement parlant, oui. Il est clair que, si l’article 7 était voté par le sénat, les jésuites ne pourraient transporter à l’étranger les vingt-neuf[2] établissemens d’enseignement secondaire qu’ils possèdent actuellement en France. Les dominicains et les maristes seraient également fort empêchés. Ils réussiraient sans doute à conserver une partie de leur clientèle en fondant de nouvelles maisons sur nos frontières, mais tous leurs élèves ne les suivraient pas. À ce point de vue, M. le ministre de l’instruction

  1. Nous en dirons autant des textes introduits dans ce débat par M. Paul Bert. On peut être un savant distingué, on ne s’improvise pas théologien ; il y faut des aptitudes et des études toutes spéciales, sans lesquelles on risque fort de tout brouiller. C’est un peu ce qui est arrivé à l’honorable député de l’Yonne. Nous pourrions en donner de nombreux exemples, qui nous ont été signalés par un vrai docteur en théologie ; nous nous bornerons aux suivans :
    Officiel, page 6214, 2e colonne. M. Paul Bert dit : « Voici comment un jésuite qui en même temps était cardinal a défini le probabilisme, etc. » Or la définition est du père Antoine Terille, qui ne fut jamais cardinal.
    Officiel, page 6214, 1re colonne. M. Paul Bert dit en parlant des extraits des assertions : « Ces pièces, nul ne peut dénier leur exactitude, nul ne l’a jamais déniée. » Or, dans une lettre célèbre, Mgr de Beaumont, archevêque de Paris, a démontré la fausseté de plus de vingt-trois de ces textes et déclaré qu’il lui serait impossible de relever toutes les falsifications dont les assertions sont remplies. Ajoutons que depuis beaucoup d’autres réponses sont venues compléter celle de Mgr de Beaumont.
    Officiel, page 6215, 2e colonne. M. Paul Bert donne comme enseignées par l’église les propositions suivantes :
    1° Un fils peut souhaiter la mort de son père pour jouir de son héritage.
    2° Une mère peut souhaiter la mort de sa fille pour n’être point obligée de la nourrir et de la doter.
    3° Il est permis à un fils de se réjouir du meurtre de son père qu’il a commis étant ivre et cela à cause des grands biens qu’il en hérite.
    Or ces propositions ont été formellement condamnées par Innocent XI.
  2. Vingt-neuf et non vingt-sept ou trente et un, comme l’a dit M. Ferry.