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par ce besoin d’espérer qui est un des traits particuliers de l’esprit hellénique ; mais la situation des Grecs anatoliens n’a pas été sensiblement modifiée. L’avenir dira si l’article 32 du traité de Berlin, qui promet aux raïas l’égalité civile et politique, ne doit pas aller rejoindre tant de hatts impériaux restés jusqu’ici lettre morte.

Aujourd’hui nous assistons, dans la petite église grecque de Haghios-Gheorghios, au mariage d’un jeune Grec d’Adalia, Janako Bimitraki. La cérémonie ne diffère pas beaucoup de celles qu’on pratique à Athènes ; les riches costumes des femmes lui donnent seuls un caractère d’étrangeté. Malgré la saison déjà chaude, les femmes qui assistent la mariée portent des pelisses fourrées pardessus la veste et le large pantalon de soie bouffant : la coiffure se compose d’un fez entouré d’un mouchoir de soie coquettement posé sur des cheveux coupés court de chaque côté et tressés par derrière. Ces femmes, choisies parmi les matrones de la ville, ont un type d’une grande distinction : le profil est droit, le menton un peu fort ; de grands yeux noirs éclairent ces visages à la physionomie douce et un peu triste. C’est un bambin de la famille qui remplit les fonctions de paranymphe. Tandis que le papas nasille les prières d’usage, cet enfant tient de chaque main une lourde couronne de cuivre argenté au-dessus de la tête des deux époux, dont les mains sont liées par une écharpe de soie. Les prières finies, on imprime au lustre, qui pend au milieu de l’église, un mouvement de balancement, et les principaux acteurs de la cérémonie, époux, matrones, papas et paranymphe, se tenant par la main, exécutent une ronde qui n’a rien d’édifiant pour des esprits habitués au sérieux des mariages occidentaux. Le cortège se forme au milieu du tumulte et se dirige vers la maison de Dimitraki, précédé de violons qui jouent l’hymne national hellénique. Cette absence de gravité dans les cérémonies religieuses n’est pas particulière aux Grecs d’Anatolie. On a souvent remarqué que la race hellénique n’est pas accessible à une émotion religieuse bien profonde. Les cérémonies de la semaine sainte, à Athènes, ont un caractère riant : les églises sont pleines de fleurs ; la foule qui les visite n’a rien de recueilli, on sent que la dévotion consiste pour elle en quelques pratiques machinalement accomplies ; il n’y a pas trace de piété intérieure.

Les réjouissances à propos d’un mariage durent huit jours en Anatolie. Aussi pouvons-nous le lendemain assister chez Dimitraki à un genre de divertissement très spécial : c’est la danse des femmes. Quelques amis forment tout le public, qui doit être aussi restreint que possible. Dans une jolie salle à plafond de bois découpé, une douzaine de femmes sont assises sur des divans, tandis que la mariée se tient dans un angle de la pièce, avec l’air timide que commandent les bienséances. Trois musiciens jouent de la flûte,