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lui donnera le contingent décennal sur lequel l’empereur François-Joseph croit pouvoir compter à tout événement. On n’a pas encore trouvé la majorité voulue dans les deux chambres de Vienne. L’Italie, avec son nouveau cabinet à double tête, Cairoli-Depretis, n’est pas bien sûre d’avoir un gouvernement et une politique dans une situation qui reste fort incertaine. En Orient, à part toutes les autres questions qui ne cessent de s’agiter, qui intéressent l’existence même de l’empire ottoman, la Bulgarie nouvelle, cette principauté des Balkans créée par la diplomatie, fait ses débuts dans la vie indépendante, dans la carrière constitutionnelle par des crises ministérielles et parlementaires presque sans issue. Il est certain que, dans toutes les zones européennes, du nord au midi, de l’occident à l’orient, tous les pays semblent avoir autant de peine à se mettre d’accord avec eux-mêmes qu’à se mettre d’accord avec les autres, et que nulle part il n’y a cette confiance qui naît des situations régulières, qui fait les rapports faciles, qui assure la paix en prévenant les complications. On est au régime des malaises, des tiraillemens dans la vie intérieure et des expédiens de chaque jour dans la diplomatie.

C’est un état général aussi étrange que laborieux, et ce qui en fait la gravité dans l’ordre diplomatique, c’est qu’il n’a rien d’accidentel et d’imprévu, c’est qu’il ressemble à une maladie chronique devenue difficile à guérir. Cette situation, telle qu’elle apparaît dans tous les mouvemens, les déplacemens d’alliances et les brusques évolutions qui se succèdent, elle ne date pas d’hier ; elle tient à tout un ensemble de causes, à un enchaînement de circonstances, à une histoire de près de vingt ans déjà, qui a commencé le jour où les plus simples principes de droit ont été oubliés, qui a conduit par degrés l’Europe à ces conditions que nous voyons, à cet état à la fois violent et incertain où tout reste à la merci d’une résolution de la force, du jeu plus ou moins habile des ambitions et des intérêts. Un écrivain, Danois d’origine et de patriotisme, qui a suivi tous ces événemens d’hier en négociateur de bonne volonté, en observateur un peu cosmopolite, M. Jules Hansen, vient de raviver avec une familière sûreté de souvenirs un peu de ce passé dans un livre qu’il appelle les Coulisses de la diplomatie. Il fait coïncider pour une bonne part le commencement de la grande débâcle européenne avec la crise danoise de 1864. C’est sûrement en effet une des dates les plus décisives dans cette carrière où la guerre des duchés de l’Elbe, poursuivie en commun par la Prusse et l’Autriche, conduit bientôt au déchirement de l’Allemagne pour le partage du butin, à la guerre audacieuse de la Prusse contre l’Autriche en 1866, puis au grand et tragique conflit de 1870 entre l’Allemagne et la France. Le Danemark joue le rôle d’une nouvelle Silésie convoitée par un nouveau Frédéric. Il est la première victime et, par une coïncidence aussi curieuse que triste, ses protestations, ses revendications suivent désormais la fortune de ces autres