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monde sent inévitable. « Il est temps de parler, s’écrie-t-il ; honni soit qui bien ne parlera, car oncques mais n’en fut temps si bien comme maintenant. ». Puis il entame la matière, toujours riche et facile, des abus, vexations et dilapidations du présent règne : « le mauvais gouvernement du roy et de ses officiers a tout gasté et tout perdu ; il en sera ainsi et rien n’est à espérer tant qu’il durera. » Au nom du peuple il demande que « les officiers du roy, » c’est-à-dire les fonctionnaires, soient tous destitués : « trop de méchefs sont advenus de leur fait au royaume de France, et le peuple ne veut plus souffrir ces choses. » Il continue « son sermon et preschement » en attaquant à mots couverts le roi et le dauphin, duc de Normandie, en insinuant que les états ont bien le droit d’ôter et de transférer la couronne ; enfin, par manière de péroraison, il propose aux députés comme un serment du jeu de paume, et leur fait jurer « d’estre tous unis et alliés ensemble, » ligués et confédérés contre la royauté. « Prenez bien garde à ce que vous ferez, dit-il en terminant ; certes, on essayera de vous endormir ; mais, quelque pardon ou rémission que l’on vous fasse, quelque lettre que l’on vous baille, on trouvera bien prétexte et embusche contre vous et l’on cherchera à vous faire morir de mal mort. »

À ce discours agressif, qui, en flattant les passions de la majorité, avait l’art de les diriger secrètement vers un but certain, succédèrent des motions hardies soutenues par Le Coq et ses amis, tout un programme de réformes et d’innovations que l’assemblée s’empressa d’adopter. On décida que deux commissions, l’une de quatre-vingts membres, l’autre de trente-six, seraient nommées pour étudier d’urgence les mesures jugées indispensables. Tous les fonctionnaires publics, magistrats et autres, furent « suspendus », sauf à recevoir, après enquête, une nouvelle investiture. On contraignit le régent à choisir ses conseillers, c’est-à-dire ses ministres, dans l’assemblée : Le Coq, Marcel, tous les chefs du mouvement, les pires ennemis du prince, formèrent son conseil. Des députés, munis de pleins pouvoirs, escortés d’une force militaire, partirent pour les provinces avec le titre de « réformateurs généraux » ou de « gouverneurs des subsides, » et avec la mission de surveiller les autorités locales, spécialement les financiers. Le régent frémissait sous le joug et cherchait à s’y dérober ; une émeute brisa sa résistance. Sur un mot d’ordre du prévôt des marchands, les boutiques se fermèrent ; « les ménestrels, » qui remplissaient les places et les rues, cessèrent de jouer ; des maisons silencieuses sortirent trois mille hommes des métiers de Paris, portant le chaperon rouge et bleu ; leur foule en armes s’assembla aux abords du palais : c’était la première apparition de la garde nationale dans l’histoire de France. Le lendemain, ils s’emparaient du Louvre, par surprise, y enlevaient