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Boniface VIII ; on croyait avoir conservé un fragment de l’adresse présentée au roi par les députés du tiers dans cette même session : il a été prouvé que le texte cité par Savaron est l’œuvre d’un publiciste officieux, un article de pamphlet ou de journal. L’unique souvenir un peu précis qui subsiste de cette période d’essai et de début est une description de l’assemblée du 1er août 1314, convoquée à Paris avant la guerre de Flandre, ; nous emprunterons aux Grandes Chroniques de France l’esquisse animée et parlante de la séance, comme une assez juste image de ces tenues d’états, très fréquentes, mais fort courtes, dont la première moitié du XIVe siècle est remplie. S’avançant sur le bord de l’estrade où le roi, les barons et les prélats étaient assis, tandis que les députés des villes se tenaient debout au pied de « l’échafaud, » Enguerrand de Marigny, surintendant des finances, « prescha » avec un succès extraordinaire. Il loua fort l’excellent esprit du peuple de Paris, moyen oratoire très ancien et qui ne vieillit pas : il appela la ville de Paris « la nourrice des princes, la vraie chambre royale, à laquelle le roy se devoit plus fier pour avoir aide et bon conseil qu’en nulle autre cité. » Énumérant ensuite les trahisons et les méfaits des comtes de Flandre depuis cent ans, les justes griefs des Français, il échauffa le patriotisme des assistans et réclama leur secours contre cet ennemi félon. Quand il eut fini « sa complainte », le roi, s’avançant à son tour, demanda aux représentans des communes quels étaient ceux qui tenaient pour lui. Cet appel hardi et la harangue du surintendant enlevèrent les suffrages. Un bourgeois de Paris, Etienne Barbette, jura « qu’ils estoient tous prêts à marcher à leurs coûts et dépens là où le roy les vouldroit mener contre lesdits Flamens. » Tous les députés des villes répétèrent cette formule d’adhésion. Une lourde taille fut établie en conséquence de ce vote plus généreux que prudent : l’année suivante, les Parisiens poussaient au gibet de Montfaucon l’orateur qui les avait si bien loués et si durement rançonnés. Il y a toujours eu de cruels reviremens d’opinions, à Paris, contre les interprètes trop habiles de la politique des princes. — Voilà, sans doute, de quelle façon simple et rapide, sinon aussi dramatique, les choses se passaient dans les primitives sessions des états, avant les troubles de 1355.

À cette époque, tout change de face. Nous n’avons plus affaire aux députés timides et dociles de la première moitié du siècle, qui se séparaient après quelques jours de délibération et un vote complaisant ; nous sommes en présence d’une assemblée que son isolement grandit, que la pression populaire surexcite, qui, sans formuler aucune théorie antimonarchique, a le sentiment confus de sa souveraineté et l’ambition d’établir son contrôle en permanence. Suivant la mode française, elle entreprend une réforme