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nous parlions tout à l’heure, qui sous le nom de pères de la Miséricorde, pères de la Rédemption, pères de la Merci, consacraient leurs ressources, leur intelligence, leur vie même au rachat des chrétiens. Ce fut aussi le sort de notre poète comique Regnard. Il a raconté, dans son joli roman la Provençale, comment revenant d’Italie en France, à bord d’un navire romain, sur lequel se trouvaient avec lui la belle dont il était épris, et son mari, ils eurent le malheur d’être attaqués par un corsaire, vaincus après une glorieuse résistance et conduits en Alger. Il y demeura pendant plusieurs mois, n’en put sortir qu’en payant une forte rançon, après avoir, s’il n’a rien exagéré, vu de près le supplice du pal auquel il avait été condamné pour s’être mis en communication avec l’une des femmes du harem de son maître, et dont l’intervention du consul de France vint le sauver au dernier moment. Tels étaient les exploits des pirates d’Alger, contre lesquels les princes de la chrétienté demeuraient impuissans. Ils les troublaient à ce point que lorsqu’en 1571, François d’Alençon, quatrième fils de Catherine de Médicis, songeait à se rendre en Angleterre, afin de demander la main d’Elisabeth, son frère Charles IX s’efforçait de le détourner de ce voyage, en lui faisant observer qu’il s’exposerait à se faire enlever par les Barbaresques qui s’étaient déjà montrés dans la Manche et exigeraient ensuite une lourde rançon pour prix de sa liberté.

La répression que méritaient de si grands méfaits se fit longtemps attendre. Charles-Quint l’essaya le premier, sans y réussir. Louis XIV fut plus heureux ; mais ce n’est qu’après avoir fait bombarder Alger à trois reprises, par Tourville, Duquesne et le maréchal d’Estrées qu’il obtint du dey la promesse de respecter désormais les bâtimens et les sujets français, — promesse qui fut tenue jusqu’à la révolution, oubliée ensuite, si bien oubliée qu’au commencement de ce siècle, on voit le premier consul Bonaparte menacer la régence d’une invasion de quatre-vingt mille hommes et, devenu empereur, envoyer sur la côte algérienne un officier du génie, le commandant Boutin, avec l’ordre de faire une reconnaissance de la ville d’Alger, de ses défenses, de ses environs, en vue d’une descente et « d’un établissement définitif » dans ce pays. M. Camille Rousset fait observer avec raison que la menace était grave dans la bouche du conquérant de l’Égypte. Heureusement pour la régence, les guerres du continent, en empêchèrent la réalisation. Après trois cents ans d’une fortune insolente, « Alger pouvait se croire au-dessus de tout effort humain. »

Les événemens qui suivirent étaient de nature à la fortifier dans cette illusion. Vainement, en 1815, le congrès de Vienne déclara qu’il serait mis un terme à l’esclavage des chrétiens enlevés par les