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supprimer. Il rappelait que depuis quatre-vingts ans tous les gouvernemens qui se promettaient de vivre ont eu ce qu’il appelle « l’année climatérique, » ce qu’on peut appeler le moment critique, — où ils avaient encore le choix, où ils auraient pu se fortifier, s’affermir, et où ils ont fini par tomber du côté où ils penchaient. Quelques années après que le premier empire est sorti de la révolution tout éclatant de gloire militaire, vers 1810, peut-être dès 1808, au lendemain même de Tilsitt, il est déjà visible que ce puissant régime qui vit de la guerre est destiné à périr par la guerre, par les excès de domination. Pour la restauration, l’heure décisive est vers 1823, à l’époque où l’emporte décidément l’esprit de réaction politique et religieuse dont ne peut se défendre la royauté traditionnelle. Le reste n’est qu’une série d’étapes conduisant à la catastrophe. La monarchie de juillet elle-même a son moment critique vers 1839, lorsque les forces parlementaires qui ont fait son succès et sa sûreté se dissolvent, lorsqu’éclate le grand malentendu de la coalition. Le second empire à son tour a sa phase « climatérique, » après 1860, quand s’engage l’expédition du Mexique, lorsque l’esprit de celui qui fut Napoléon III n’est plus qu’un chaos obscur d’irrésolutions et de velléités énigmatiques. Nous ne parlons pas de la république de 1848, qui n’attend pas trois mois pour être ébranlée sans retour et toucher au déclin. Pour tous, quoique dans des conditions bien différentes, la loi est invariable.

Il s’agit aujourd’hui de savoir si la république nouvelle, au lieu de s’éclairer de cette expérience, aura le même destin, si, arrivée au point où elle est, après neuf années d’existence, elle réussira à se fixer, à s’établir libéralement, honorablement, ou si elle glissera dans les agitations, dans les conseils violens ou exclusifs, dans les combinaisons plus ou moins révolutionnaires qui ont été jusqu’ici sa faiblesse. Que cette vérité semble dure ou importune à ceux qui font de la politique avec des chimères et des infatuations, que les optimistes se flattent d’échapper au sort commun, d’assurer à leur œuvre une durée exceptionnelle qu’ils n’auraient pas su mériter par leur prévoyance, peu importe ; le moment décisif n’en est pas moins venu, on le sent à un certain désarroi des esprits, à des hésitations, à des perplexités d’opinion auxquelles on ne peut se tromper. Et notez bien, pour compléter ces enseignemens de la politique et de l’histoire, que tous les régimes qui ont précédé la république d’aujourd’hui, qui ont disparu tour à tour, n’ont été nullement en réalité les victimes des oppositions soulevées ou armées contre eux. Ni les uns ni les autres n’ont péri sous les coups de leurs ennemis. Les uns et les autres avaient commencé par avoir raison de leurs adversaires, par les réduire au silence ou à l’impuissance ; ils sont tombés sous le poids de leur propre politique et de leurs propres inclinations, par leurs fautes, par leurs excès ou par leurs faiblesses, par les aveuglemens de ceux qui se prétendaient leurs amis à