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la rigueur on peut vivre en s’en passant. Il est certain que les hommes ne sont pas enclins à s’imposer de grands sacrifices pour les vérités évidentes ; le bon sens a toujours été réduit ici-bas à la portion congrue, on ne fait pas de folies pour la raison. D’ailleurs, au rebours de ce qui se passait dans le siècle dernier, l’orthodoxie est aujourd’hui en faveur parmi les classes dirigeantes, elle dispose des grosses bourses. Les petits et les déshérités de ce monde, qui goûtent le rationalisme, n’ont à lui offrir que leurs maigres économies, l’obole de l’indigent et la pite de la veuve. Les protestans libéraux ont représenté aussi au grand-conseil qu’il était à craindre que l’église séparée de l’état ne dépendit des riches qui l’auront à leur solde ; la pauvreté s’y tiendrait debout près de la porte, elle n’y serait admise qu’à titre de parasite. Cet argument était de nature à toucher le cœur de la démocratie genevoise, qui est ombrageuse et passionnément égalitaire. Certaines églises libres ne sont fréquentées que par un public d’élite, bien rente, et les prédicateurs qu’on vient entendre dans ces petites chapelles ne conquièrent la faveur de leur auditoire qu’en lui prêchant un dogme subtil et raffiné. Dis-moi ce que tu as, et je te dirai ce que tu crois. Un orateur a cité, dans la discussion du grand-conseil, le trait admirable ou singulier d’un Américain, rigide observateur du repos du dimanche, qui s’étant fait construire un chalet en bois, s’empressa de le démolir et de le remplacer par une maison en pierres de taille, parce qu’on lui fit observer que le bois travaille le dimanche. La stricte observance et l’excès des scrupules sont un beau luxe que les riches seuls peuvent se permettre.

Dans le camp des séparatistes se sont trouvés réunis, comme il arrive quelquefois, les philosophes, les libres penseurs et les orthodoxes, les ennemis de l’église et ses plus chauds amis. Les argumens des premiers ont été résumés par M. Cari Vogt dans un discours où se sont donné carrière sa malicieuse franchise et sa verve gausseuse. M. Vogt est un éminent naturaliste qui a découvert dès sa plus tendre jeunesse que la gaîté est conciliable avec la science ; il a entrepris d’en faire la démonstration, c’est à cela qu’il emploie le temps qu’il ne passe pas dans son laboratoire. Du reste, c’est moins en ennemi de l’église qu’en politique qu’il a réclamé la suppression du budget des cultes, et aux épigrammes il a joint les raisons sérieuses. Il n’est pas besoin d’étudier profondément l’histoire pour y trouver des argumens décisifs contre la fusion et la confusion du spirituel et du temporel. Il est des souvenirs ineffaçables, il est des vérités présentes à toutes les mémoires, elles ont été écrites avec du sang : le moyen d’oublier les albigeois, Philippe II et la révocation de redit de Nantes ! L’union de l’église et de l’état a revêtu dans le passé deux formes qui inspirent une égale répugnance aux enfans de ce siècle. Dans les âges de foi universelle et naïve, l’église s’érigeait en directeur de conscience de l’état, et un directeur sait et