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jamais directement au gouvernement de la société, doit être cependant considérée comme la première de leurs institutions politiques. Il ajoutait à la vérité : « S’il sert beaucoup à l’homme comme individu que sa religion soit vraie, il n’en est point ainsi pour la société, la société n’a rien à craindre ni à espérer de l’autre vie, et ce qui lui importe le plus, ce n’est pas tant que les citoyens professent la vraie religion, mais qu’ils professent une religion. » S’il n’importe pas à l’état que les citoyens professent la vraie religion, il lui importe beaucoup que leurs croyances ne soient pas directement contraires à l’esprit et aux principes des institutions confiées à sa garde, et il s’ensuit qu’il ne peut renoncer à un certain droit de contrôle sur les communautés et sur les associations religieuses. Rien n’est plus plausible en principe que la séparation absolue de l’église et de l’état, mais dans l’application cette doctrine souffre quelques difficultés, et quelque décision que prenne à cet égard une assemblée politique, on pourra lui dire ce que disait un avocat vénitien à un tribunal qui venait de se déjuger : « Illustrissimes seigneurs, voici ce que vous aviez décidé l’an passé ; cette année dans la même affaire, vous avez décidé tout le contraire, e sempre ben, et toujours bien ! »

il est à remarquer qu’à Genève, la doctrine libérale de la séparation a été combattue surtout par les protestans libéraux. Il y a, comme on sait, deux espèces de protestans. Les uns considèrent la superstition comme un fléau pire que l’incrédulité, les autres tiennent que l’incrédulité est un plus grand mal que la superstition. Les protestans libéraux ont pris à cœur et à tâche de rendre la religion raisonnable autant que possible. Leur entreprise est traitée de dangereuse par ceux qui croient que la pure raison n’est pas un frein suffisant pour mater le cœur de l’homme ; elle est traitée de chimérique par ceux qui pensent qu’une religion sans miracles et sans légendes est la plus vaine des utopies. Les protestans libéraux sont en droit de répondre que leurs adversaires préjugent la question et que Diogène prouvait le mouvement en marchant. On ne peut s’étonner qu’ils soient contraires à la séparation. Ils estiment que quand la religion est unie à l’état, l’état exerce sur elle une salutaire influence, qu’il la préserve des dogmes excentriques, qu’un clergé salarié a du goût pour les opinions moyennes, et en toute chose ils aiment les termes moyens. Ils estiment aussi que si l’on supprimait le budget des cultes, si le clergé ne vivait plus que des libéralités des fidèles, l’orthodoxie serait seule assurée d’être richement pourvue et rentée, que la théologie latitudinaire serait réduite à la besace et au bâton et risquerait de mourir sur la paille. Ceux qui croient au surnaturel tiennent qu’il est nécessaire d’y croire pour être heureux dans ce monde-ci et dans l’autre ; ceux qui n’admettent que des dogmes raisonnables les regardent seulement comme utiles et conviennent qu’à