Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de le nier : au point de vue de cette fatalité historique qui fait sortir les faits les uns des autres avec une force impérieuse, la révocation de l’édit de Nantes était en germe dans cet édit lui-même, comme la guerre est en germe dans tout traité.

La vraie tolérance devait s’établir d’autre façon : elle devait sortir d’un mouvement philosophique qu’eussent réprouvé et les vaincus et les vainqueurs des luttes terribles du XVIe siècle. Elle devait se fortifier par des luttes communes ; elle devait entrer dans les lois, non par la faveur royale, mais comme l’effet naturel de théories entièrement nouvelles sur le caractère même de la royauté et sur les devoirs des gouvernemens. Du haut de notre tolérance moderne, qui ressemble bien souvent à de l’indifférence, ne soyons pas plus sévères qu’il ne faut pour nos pères : c’est le mérite de M. de Meaux de sortir des banalités qui ont cours sur le XVIe siècle ; il essaie de comprendre quelles passions devaient agiter notre pays pendant cette longue révolution qui le laissait incertain sur sa foi, sur ses institutions, sur ses alliances, sur sa politique, enfin sur l’ordre de succession monarchique. Notre temps a vu d’autres révolutions, d’autres guerres, plus quam civilia bella ; il a connu l’intolérance sous des formes nouvelles, mais il l’a poussée, tout comme le XVIe siècle, jusqu’à la persécution, jusqu’à la proscription, jusqu’à l’assassinat, jusqu’au massacre. Notre puritanisme reproche aux catholiques comme aux protestans du XVIe siècle d’avoir demandé à l’occasion et accepté les secours de l’étranger ; sur ce point même, notre temps n’est pas tout à fait sans reproches. L’homme « naturel » est toujours le même ; il s’enflammait au XVIe siècle pour des objets qui n’étaient point sans grandeur ni sans noblesse ; mais il mettait jusque dans les sentimens les plus sacrés ce je ne sais quoi de méchant et de cruel que souffle sans cesse le « moi haïssable ; » il était cruel au nom de Dieu ; il l’est aujourd’hui ou au nom d’un parti, ou au nom de l’humanité.

Si, d’une façon générale, M. de Meaux sait être juste pour les hommes du XVIe siècle, s’il entre même avec quelque complaisance dans les sentimens qui les animaient, cette facilité même lui ôte quelquefois l’impartialité à laquelle il aspire comme historien. Les écrivains protestans pourront lui chercher chicane sur une foule de points ; ils trouveront qu’il fait mal le partage des responsabilités, qu’il est trop porté à blanchir les catholiques, à noircir les huguenots ; ils le trouveront trop indulgent pour le peuple de Paris, ils s’étonneront de le voir nier toute préméditation dans ; le crime de la Saint-Barthélémy[1]. La droiture des intentions, qui éclate à chaque page de l’ouvrage de M. de Meaux, ne l’a pas

  1. On trouvera la thèse opposée soutenue dans une publication récente de M. Henri Bordier : la Saint-Barthélémy et la Critique moderne.