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préféra la pacification par la tolérance et les compromis, s’il estima qu’il serait assez fort, une fois le royaume pacifié, pour imposer aux catholiques le respect du culte protestant, aux protestans le respect du culte catholique, enfin s’il se crut en droit d’espérer que ses successeurs tiendraient la parole qu’il aurait donnée, nous ne nous occuperions guère de descendre dans la conscience de l’homme pour chercher tous les ressorts d’un si noble dessein ; si même la conversion du roi était nécessaire, nous avouons que, pour avoir été un peu plus difficile, disons le mot, un peu moins sincère au sens religieux, elle en paraît presque plus méritoire, au point de vue politique, par le sacrifice qu’elle imposait. Que de souvenirs, que de visions terribles, que de justes ressentimens le Béarnais ne dut-il pas arracher de son cœur, comme autant de fibres saignantes, avant de se résoudre à épouser de son plein gré cette foi qu’on lui avait imposée dans la nuit cruelle de la Saint-Barthélémy ! que d’amitiés loyales et de dévouemens ne fallut-il pas blesser ! Ceux qu’il avait tant de fois, parmi les périls, conduits à la victoire pouvaient-ils le voir abjurer sans une inexprimable douleur ? Sous des apparences quelquefois légères, le fils de Jeanne d’Albret était un esprit méditatif et sérieux. S’il changea de religion, c’est qu’il crut ce changement absolument nécessaire. Le mot fameux : « Paris vaut bien une messe » est un mot mensonger. Il y eut autre chose qu’un calcul ambitieux dans la renonciation faite par le roi à la foi qu’il avait si longtemps professée.

Il avait espéré quelque temps pouvoir, en tant que roi protestant, faire régner la tolérance. À peine devenu héritier présomptif de la couronne, il protesta que « son intention n’était nullement de nuire aux catholiques ni de préjudicier à leur religion, ayant toujours été d’opinion que les consciences doivent être libres. » (Déclaration et protestation du roi de Navarre, de Mgr le prince de Condé et de M. le duc de Montmorency, — 1585.) En 1588, il écrit aux trois états du royaume : « Tout ainsi que je n’ai pu souffrir que l’on m’ait contraint en ma conscience, aussi ne souffrirai-je, ni permettrai-je jamais que les catholiques soient contraints en la leur ni en l’exercice libre de leur religion… » À ceux qui le somment de se convertir, il dit dans cette même lettre : « Si vous désirez mon salut simplement, je vous remercie. Si vous ne souhaitez ma conversion que pour la crainte que vous avez qu’un jour je vous contraigne, vous avez tort. Mes actions répondent à cela. La façon de laquelle je vis et avec mes amis et avec mes ennemis, en ma maison et à la guerre, donne assez de preuves de mon humeur. Les villes où je suis et qui depuis peu se sont rendues à moi en feront foi. Il n’est-pas vraisemblable qu’une poignée de gens de ma religion puisse contraindre un nombre infini de catholiques à une chose à