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à la lutte, ils n’attendirent pas la mort d’Henri III. Fallait-il laisser en suspens le sort de l’état, et après que le Béarnais aurait pris possession du trône, serait-il temps encore de l’en écarter ? » Pendant que le Béarnais, prenant ses précautions, négociait avec l’Angleterre, les Guises négociaient avec l’Espagne et promettaient de lui livrer Cambrai. La ligue se trouva bientôt si redoutable qu’Henri III l’abandonna et la décapita dans la personne du duc de Guise, se montrant ainsi plus roi que catholique et plus effrayé de l’usurpation que de l’hérésie. La ligue, devenue une entreprise révolutionnaire, était maîtresse de presque tout le royaume. M. de Meaux écrit, en parlant de ce grand mouvement : « Plus on regarde la ligue et sa fortune, plus il est difficile de ne pas voir en elle la manifestation éclatante d’un profond sentiment national. Mais ce sentiment, si puissant qu’il fût, était-il justifié ? En repoussant un roi hérétique, les Français cédaient-ils à une passion aveugle, ou faisaient-ils acte de légitime défense ? » Il examine longuement cette question et prend hautement parti pour ceux qui ne voulurent point souffrir un roi protestant. « Lorsque, après avoir excommunié Henri de Bourbon comme hérétique, le pape Sixte V le déclarait déchu de ses droits à la couronne de France, sa sentence, quoi qu’en puissent dire ceux qui la repoussaient, n’était pas sans fondement et sans motifs ; elle avait été précédée, elle était confirmée d’avance, elle fut suivie par d’autres sentences rendues en France ; elle s’appuyait sur la tradition française autant que sur les maximes romaines. » Suivant lui, le droit public français ne permettait point à un prince hérétique de devenir le souverain légitime de la France. Nous avouons ne pas bien comprendre quel était ce prétendu droit public : la seule sanction de ce droit eût été le choix d’un nouveau souverain ; mais la ligue n’avait qu’un fantôme à mettre sur le trône, elle n’avait rien à offrir à la France, elle barrait le chemin d’Henri IV, elle ne pouvait rien mettre à sa place. Son programme était la destruction de l’hérésie dans le royaume : voulant l’anéantir partout, elle ne pouvait la laisser subsister dans la maison royale.

Mais pourquoi parler ici de droit ? Il nous semble aujourd’hui aussi étrange devoir un peuple peser sur la conscience de son souverain, que de voir un souverain peser sur la conscience de ses sujets. Même aujourd’hui, on s’attend en tout pays à voir le souverain professer la religion que professe la majorité de ses sujets ; il n’y a toutefois dans cette communion qu’une sorte de convenance naturelle. Il semble que le prince ne s’appartienne pas tout à fait, qu’il ait partout un caractère impersonnel et, pour ainsi dire, représentatif. Il en est autrement dans les pays où il y a une religion établie » le souverain n’y peut appartenir qu’à cette religion ; il possède une domination spirituelle en même temps qu’une