Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/686

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servent le Christ même en faisant des lois pour le Christ. » Ce retour invincible des idées romaines dans la religion du Christ est analysé avec beaucoup de finesse et de vérité par M. de Meaux ; l’invasion des barbares, suivie de leur conversion au christianisme, contribua à confondre encore plus complètement la puissance civile et la puissance religieuse. Sortir de l’église fut se mettre hors la loi. Les longs développemens que donne M. de Meaux à cette partie de son introduction lui ont semblé nécessaires pour expliquer, je ne dis pas pour justifier l’intolérance qui était devenue la loi du monde chrétien, comme elle avait été celle du monde romain ; ils font mieux comprendre la violence et la durée des efforts qui furent nécessaires pour amener le règne de cette tolérance à laquelle nous sommes aujourd’hui si accoutumés.

Il y eut, chose étrange, au commencement de la réforme en France, une heure de tolérance, une sorte d’aurore charmante, embellie à la fois par la religion, par les arts et par les lettres. Les adversaires ne s’étaient pas encore reconnus ; ils ne se connaissaient pas bien eux-mêmes ; la réforme n’avait pas encore pris la figure de l’hérésie, de la révolte. Ce moment unique a une sorte de grâce et de fraîcheur matinales ; partout, en France, en Allemagne, en Italie, on rêve une grande réforme de l’église, mais une réforme catholique. On suit avec une sorte de joie ce qu’on nomme vaguement les idées nouvelles. On n’aperçoit pas de danger à traduire les livres saints en langage vulgaire : la poésie, la musique même ont une grande part à cette fête des esprits. On traduit les psaumes de David avant de traduire le Nouveau-Testament. Lisez ce curieux extrait d’un petit pamphlet, d’une rareté insigne, une lettre adressée par un gentilhomme huguenot à Catherine de Médicis[1] : « Ce père plein de miséricorde meit au cœur du feu roi François d’avoir fort aggréables les trente psaulmes de David avec l’Oraison dominicale, la Salutation angélique et le Symbole des apostres que feu Clément Marot avait translatés et traduits et dédiés à sa grandeur et majesté. Laquelle commanda audict Marot présenter le tout à l’empereur Charles-le-Quint, qui reçut benignement la dicte translation, la prisa et par parolles et par présent de deux cent doublons qu’il dona au dict Marot, luy donnant aussi courage d’achever de traduire le reste desdicts psaulmes, et le priant de luy envoyer le plustost qu’il pourrait Confitemini domino quoniam bonus, d’autant qu’il l’aimait.

« Quoy voyans et entendans les musiciens de ces deux princes,

  1. Cette pièce a été réimprimée dans le recueil connu sous le nom de Mémoires de Condé. Ces mémoires servent d’éclaircissemens et de preuves à l’Histoire de M. de Thon. La pièce, a pour titre : Copie des lettres envoyées à la reine mère par un sien serviteur, après la mort du feu roi Henri deuxième.