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Il l’habille et tout, il prend la petite voiture, la plante dedans et s’en va. Quand elle est devant la porte de monsieur Jean, la vieille descend de voiture et tire la sonnette. L’épouse de monsieur Jean appelle sa sœur et lui dit : — Va voir qui vient à cette heure brune ; j’ai entendu sonner. Je ne sais ce que cela peut être. — La sœur va ouvrir : — Qui est là ? — Excusez. Est-ce ici l’appartement de monsieur Jean, de Constantinople ? — Oui, c’est son appartement ; mais il n’y est pas, savez-vous ? Il est en voyage. — Ah ! ceci me fâche ; j’étais venue, ayant appris que mon frère s’était marié. J’étais venue de bien loin lui faire une visite. Mais l’épouse, n’y est-elle pas ? — Oui, je vais l’aller dire à madame. — Fais-le, oui, et dis-lui que c’est la sœur de monsieur Jean ; qu’elle ne savait même plus s’il était encore de ce monde tant il y a d’années qu’elle ne l’a point vu.

La Rosine a dit à sa sœur : — Donne-moi ma robe de chambre, et toi, va lui ouvrir et fais-la monter. — Oh ! dit la vieille en entrant, est-ce la femme de mon frère ? — Elle lui saute au cou et l’embrasse fortement avec un air d’allégresse et de bonheur. Vieille coquine ! — Très chère belle-sœur, avez-vous faim, hein ? — Je vous dirai que j’ai voyagé toute la nuit et tout le jour. — Donne-lui à manger et à boire. — On la met à table. Quand elle a bu, mangé et tout : — Vous plairait-il d’aller reposer, chère belle-sœur ? lui dit l’épouse. — Il me plairait fort, oui, allons. — Elles se lèvent et vont, bras dessus, bras dessous, dans une autre chambre. La vieille demande alors : — Dites-moi un peu, chère belle-sœur, est-ce ici la chambre de mon frère ? — Eh ! non. — Je voudrais voir la chambre de mon frère. — Vous voulez voir la chambre de votre frère ? Venez, venez. — Oh ! ce soir, puisqu’il n’y est pas, je voudrais dormir dans son lit. — Elles se déshabillent toutes les deux et se couchent. Quand la vieille s’aperçoit que la jeune femme est endormie, doucement, doucement, elle se laisse glisser du lit à terre, prend un crayon qu’elle avait sur elle et du papier et elle dessine toute la chambre comme elle était : le lit, le fauteuil et tout. Sur son buffet, sur sa commode, l’épouse avait posé tous les bijoux qu’elle portait aux doigts. La vieille prend le plus beau joyau qu’elle trouve sur le bahut ; puis fait le tour du lit et doucement, doucement, la découvre, lui prend une mèche de cheveux sur le chignon et les lui coupe pour les emporter ; puis doucement, doucement, la recouvre et rentre au lit doucement, doucement. Elle se tourne d’un côté, se tourne de l’autre et fait semblant de se réveiller. L’épouse, qui entend ce remue-ménage, lui dit : — Chère belle-sœur, êtes-vous réveillée ? — Eh ! chère belle-sœur, il est tard. Il faut que je m’en aille d’ici, parce qu’à telle heure il faut que je me trouve dans telle ville ; je ne peux faire autrement. — Attendez,