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que sans son manteau il aurait été dévoré par les lions. — Ces lions, répond dame Aquilina, seront tes fidèles et te sauveront de la mort ; sur quoi elle frotte le mur avec son anneau. Toute la famille apparaît ; le père, la mère et les onze frères, le père avec sa croix et l’épée au côté. Aquilina leur donne à tous une croix en diamant. Noce triomphale ! Banquets somptueux, on donne à manger et à boire à tous les pauvres gens : les époux se remarient.

Nous avons choisi ce conte parce qu’il est fort répandu en Toscane, et nous en passons vingt autres, mieux racontés peut-être, mais rappelant trop ceux qui courent partout. Barbe-Bleue, le Petit Poucet, Peau d’âne, Cendrillon surtout, reparaissent dans la littérature populaire de tous les peuples italiens avec des amplifications et des variantes pleines d’intérêt. Nous laissons de côté le Roi cochon (il Re porco), qui rappelle naïvement la Belle et la Bête, et nous supprimons la belle Ostessina (la Belle Petite Hôtesse) parce que cette histoire merveilleuse, aussi riche en incidens qu’un roman d’aventures, enchâsse la fable trop connue de la Belle au bois dormant. Mais après avoir résumé quelques nouvelles florentines, en conservant autant que possible les simplicités et les naïvetés du texte toscan, nous voudrions traduire mot à mot un de ces récits pour montrer le talent du conteur. Nous choisissons la Nouvelle de monsieur Jean, qui a déjà obtenu beaucoup de succès, non-seulement en Italie, mais aussi en Allemagne. Nous ne voulons rien y corriger, nous nous permettrons seulement çà et là de petites coupures franches pour ménager le temps et la patience des lecteurs pressés.


III. — LA NOUVELLE DE MONSIEUR JEAN, DE CONSTANTINOPLE.

Je vous raconterai la nouvelle de monsieur Jean, de Constantinople, qui était un très riche monsieur. Comme il était au balcon de sa terrasse, il vit passer une femme mariée tenant par la main un bambin qu’elle accompagnait à l’école. — Femme mariée ! — Que commandez-vous, monsieur Jean ? et elle leva la tête. — Pourriez-vous monter avec votre garçon ? — Oui, monsieur Jean. — Et elle monta. — Ah ! monsieur Jean, bonjour à vous, bon réveil. Que me commandez-vous ? — Est-il à vous cet enfant ? — Oui, monsieur, il est à moi. — Ah ! je n’ai personne en ce monde ! Pour moi, je suis seul, unique ! Un monsieur comme je suis, plein de richesses et tout, je n’aurai à ma mort personne à qui laisser mon bien. — Il dit encore : Voyez, je le prendrais volontiers pour mon fils, dans mon appartement. Je lui donnerais un maître ; s’il voulait apprendre un état ou chose semblable, je lui ferais donner aussi toutes les leçons. Je vous offrirais de plus en présent un sac plein de louis