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plus profond de ton abîme. — Il me prend pour le grand diable, dit Léonbrun, et il refrappe. — L’ermite se met à la fenêtre : — Quel vent t’a enlevé jusqu’ici ? — Ma pensée, cher ermite. — L’ermite a ouvert ; Léonbrun est entré. — Que désirez-vous, beau jeune homme ? — Je désirais savoir où demeure une certaine dame Aquilina. — Écoutez, beau jeune homme, je ne peux vous le dire, mais vous devez savoir que tous les sept vents viennent se reposer chez moi.

A une certaine heure, arrive le vent marin. — Ah ! bonsoir, ermite, qui est ce jeune homme ? — Eh ! c’est un jeune homme qui cherche à retrouver son épouse, une certaine Mme Aquilina. — Oh ! voyez, j’arrive de chez elle, j’en reviens à l’instant, cher beau jeune homme. Je dois te dire une chose, que demain quelque autre vent, ou Sirocco, ou Ponant, ou Levant, ou Pisan, ou Tramontane… qui sait si ce ne sera pas le tour de la Tramontane d’aller demain chez Mme Aquilina ? car son île ne reste jamais sans ventilation. — Oh ! cela me fait plaisir, répond Léonbrun. Viennent tout doucement les sept vents ; le dernier est le septième, et c’est la Tramontane. — Prenez garde, beau jeune homme, n’ayez pas peur : la Tramontane va venir, et ma cellule branlera de tous côtés ; la Tramontane l’emporte çà et là. Elle est de force à arracher les murs. — Oh ! je n’ai pas peur. — En attendant, Léonbrun cause avec les autres vents, qui lui apprennent que dame Aquilina a mis deux gros lions devant sa porte ; les pauvres diables qui veulent entrer sont dévorés aussitôt. — Je n’ai pas peur, dit Léonbrun. — Brrr ! brrr ! la cellule branle, la Tramontane arrive ; elle demande qui est ce jeune homme, elle cherche à le détourner de son projet et à l’effrayer. — Je n’ai pas peur, dit Léonbrun. — La Tramontane le laisse aller et lui dit : — Écoute et ne t’en fâche pas : il y a les caméristes de ta légitime épouse qui font la lessive ; quand elles seront sur le point de l’étendre, j’arriverai, et je lancerai tout leur linge en l’air. — Jette tout leur linge en l’air, répond Léonbrun, ça m’est parfaitement égal. — Il court à l’île, met son manteau, passe entre les lions et s’assied (invisible) sur une chaise, à côté de dame Aquilina. — Hélas ! dit-elle, et elle tire la sonnette. — Que voulez-vous, reine ? — Apportez-moi quelque chose, je me sens défaillir. On lui apporte une belle soupière avec du bouillon, mais Léonbrun prend sa soupière et la vide. — Hélas ! dit-elle, c’est mon pauvre Léonbrun ; qui sait quelle faim il a ! vite qu’on m’apporte autre chose. — On lui apporte autre chose, mais c’est Léonbrun qui le mange. — Dis-moi qui es-tu, toi qui es ici près de moi ? fais-moi le plaisir, laisse-toi voir, si c’est toi. — Il ôte son manteau. — Oui, c’est moi, ma très chère femme. — Elle le voit et l’embrasse avec bonheur. Là-dessus Léonbrun raconte son histoire et ajoute