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nourrir un homme, mais le prêtre, par fausse honte, protesta qu’il n’avait pas faim. On offrit à manger au garçon, qui accepta de bon cœur : il croqua les poulets qui restaient, et le prêtre lui faisait de gros yeux en chuchotant : — Donne-m’en un peu ; passe-moi un petit os. — Marc ne donnait rien, et les neveux de dire : — Avez-vous faim, oncle prêtre ? — Mais Marc répondait pour lui : — Bah ! bah ! il n’a pas faim, il a bien dîné ! — Le prêtre faisait de gros yeux au garçon, qui était près de lui. Les neveux se demandaient : — Qu’est-ce qu’il a, notre oncle ? — Rien, rien, répondait le prêtre. Et Marc ajouta : — Savez-vous ? il a honte de vous le dire, il a une indigestion ; il voudrait aller se coucher. — Figurez-vous la rage du prêtre. On le mit au lit, et Marc alla lui demander : — Êtes-vous en colère ? — Toute la nuit le malheureux se retournait dans son lit, car il mourait de faim. Il n’y tint plus et demanda au garçon où était le reste de la bouillie qu’on lui avait donnée à manger. La bouillie était dans la cuisine. Le prêtre y alla donc, et, pour retrouver son chemin, tira de sa poche un peloton de ficelle qu’il attacha au pied du lit. Dès qu’il fut sorti, Marc défit le nœud et alla sur la pointe des pieds attacher la ficelle au lit des mariés, qui étaient dans la chambre voisine. Le prêtre revint en suivant la ficelle, trébucha sur une pantoufle, et la bouillie qu’il tenait à la main se répandit sur la tête des mariés. L’épouse, réveillée en sursaut, se mit à crier au voleur ; le prêtre sauta par la fenêtre et se rompit le cou. Ce fut un grand déplaisir pour les neveux, et le bon Marc, étant retourné dans la maison du mort, se fit héritier de tout ce qu’il y trouva.

Mais revenons à Milan. Les contes des Lombards ne sont pas tous irréligieux, témoin celui-ci, qui montre la bonté de la Providence.

Il y avait une femme qui se nommait Claire : elle était pauvre et demandait la charité. Elle trouva un jour un pépin de citrouille et le sema. Peu de temps après, de ce pépin sortit une plante qui monta jusqu’au ciel. Le mari dit à la femme : — Tu devrais grimper sur cet arbre et aller chez le Seigneur pour lui demander de me donner au moins du pain. — Elle monta : Tic ! toc ! — Qui est là ? — C’est la pauvre Claire qui a besoin d’une grâce. — Quelle grâce veux-tu ? — La grâce d’avoir au moins du pain. — Va, tu l’auras. Après quoi le mari dit à Claire de remonter au ciel pour demander la grâce d’avoir de la soupe tous les jours et de la viande le dimanche. Et le Seigneur : — Tu auras de la viande le dimanche et de la soupe tous les jours. — Mais le mari, jamais content, dit à sa femme de remonter pour demander de la viande tous les jours et un grand dîner le dimanche. Le Seigneur, toujours bon, voulut lui faire encore ce plaisir. Alors le mari demanda le grand dîner tous les jours et une voiture pour aller se promener. Et le Seigneur :