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une telle énergie contre la France, qu’il faudrait être aveugle pour méconnaître ce fait. La ligne de conduite de la Prusse paraît donc nettement indiquée : les guerres de la révolution nous ont montré que, dès que les armées françaises sont victorieuses, elles se tournent contre l’Allemagne et la Prusse, si ces dernières ont commis la faute de rester neutres et d’assister tranquillement aux désastres de l’Autriche.

Mais quelle sera notre position si l’Angleterre se déclare en faveur de la France et par conséquent de l’Italie ? et que ferons-nous si la Russie se joint à l’alliance anglo-française ? Une telle alliance n’obligerait-elle pas l’Allemagne à la neutralité (une neutralité armée, bien entendu) ?

D’un autre côté, supposons que l’Angleterre et la Russie restent neutres, et que l’Autriche soit victorieuse de la France et de l’Italie, pendant que l’Allemagne et la Prusse resteront paisibles spectatrices du conflit, quelle sera la position de la Prusse ?

Comment pouvons-nous échapper aux dangers de cette alternative ? Telle est la question que je vous pose. J’attends avec anxiété voire réponse, car elle sera décisive pour nous.


Cette lettre exprime sincèrement, presque naïvement, l’état d’esprit du gouvernement prussien et de son chef, qui ne voulaient se mettre du côté de l’Autriche que si elle avait de grandes chances d’être victorieuse et qui n’entendaient nullement la défendre contre une coalition aussi redoutable que l’aurait été celle de la France, de l’Angleterre et de la Russie. La réponse du prince Albert, concertée avec le cabinet anglais, est beaucoup plus diplomatique. Le prince commence par déclarer que les deux gouvernemens sont complètement d’accord. Partant de là, il donne au prince régent des conseils sur la politique qu’il devrait adopter. On s’attend peut-être qu’il va finir en annonçant que l’Angleterre suivra la même politique. Point du tout. « Quant à nous, dit-il, nous ne savons pas ce que nous ferons. » Cependant il rassure complètement le prince régent sur le point qui le préoccupait le plus : l’éventualité d’une alliance entre l’Angleterre, la France et l’Italie : « Si vous m’aviez demandé, il y a quinze jours, l’opinion de l’Angleterre, je n’aurais pas pu vous répondre en termes aussi décisifs qu’aujourd’hui, après le discours de la reine et la discussion de l’adresse. Je puis vous dire maintenant que l’Angleterre ne se mettra pas du côté de la France, quand même l’Autriche ferait les plus grosses fautes, ce qui n’est pas impossible. »

Ce que je viens de vous dire sur l’état des esprits en Angleterre prouve que la force et la sécurité des gouvernemens, dans le temps où nous