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Conservateurs purs, comme M. Disraeli, whigs mécontens, comme lord John Russell, anciens amis de sir Robert Peel, comme sir James Graham et M. Gladstone, libéraux de l’école de Manchester, comme M. Milner Gibson, n’avaient été réunis que pour un jour, par leur haine commune contre lord Palmerston et devaient se retrouver le lendemain plus divisés que jamais. Dans cette situation, certains amis du cabinet se demandèrent s’il ne convenait pas de poser de nouveau à la chambre, sous une autre forme, la question de confiance. Lord Palmerston refusa sans hésitation de recourir à un pareil expédient. Si la majorité était petite dans la chambre, elle était grande dans le pays. Si elle était divisée, c’était une raison de plus pour lui laisser faire au pouvoir ses preuves d’impuissance et se donner à soi-même le temps et l’occasion de reconquérir la popularité.

Lord Derby fut appelé par la reine et chargé de former un nouveau cabinet. Il était le chef de la fraction la plus considérable et la plus compacte de l’opposition. Il n’avait pas pris part, comme lord John Russell et sir James Graham, à la rédaction de l’amendement Milner Gibson. La dignité de son caractère, la noblesse de sa parole, sa grande naissance (et sa grande fortune lui donnaient une autorité considérable, surtout dans la chambre des lords, où l’on peut dire qu’il fut jusqu’à sa mort maître de la majorité. Après des hésitations qui ne s’expliquaient que trop bien par les difficultés de la situation, il accepta la tâche ingrate de prendre le pouvoir sans majorité dans la chambre des communes, avec des manifestations tumultueuses dans la rue, avec une guerre européenne peut-être en perspective. Il eut cependant le bonheur de tirer la couronne et son pays de cette passe dangereuse. Il reprit pour chancelier de l’échiquier M. Disraeli, qui, comme leader de la chambre des communes, devait employer les ressources de son souple esprit et de sa parole facile à calmer l’irritation provoquée par la dépêche Walewski. Il mit à la tête du Foreign Office un ami personnel de Napoléon III, lord Malmesbury, pour atténuer le coup que recevrait l’empereur en apprenant le retrait du Conspiracy Bill par le nouveau cabinet. Enfin, après avoir exposé le programme du ministère, il demanda aux chambres de suspendre leurs séances pendant quelques jours, de manière à ne pas précipiter les événemens et à laisser se produire, des deux côtés de la Manche, de salutaires réflexions.

Le mouvement de mauvaise humeur qu’éprouva d’abord Napoléon III en recevant ces fâcheuses nouvelles fit bientôt place à une appréciation plus calme de la situation. Après un entretien particulier avec l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, lord Cowley, dont