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et en attendant que le mariage à la façon du bon Orou ait passé dans les codes humains, il le pratique sans scrupule à côté de l’autre, persuadé que les scrupules seraient des concessions aux vieux préjugés et que la morale de l’avenir établira l’indifférence complète à l’égard de ces actions physiques auxquelles la société hypocrite ou trompée attache quelque importance, sans qu’elles en aient aucune aux yeux de la nature. — N’est-ce pas lui qui se charge d’éclairer sa fille sur les lois les plus secrètes de la vie, l’instruisant non de la moralité des choses, mais de leurs inconvéniens et de leurs périls, avec une hardiesse de langage dont il s’applaudit et qui nous confond ? — Dans tous les autres rapports de famille, même délicatesse. Il parle de sa femme à Mlle Volland dans des termes d’une crudité qui devaient embarrasser sa maîtresse. — Chose singulière ! Partisan de l’union libre, il ne l’est pas du divorce. Il réfute Helvétius, qui préconise ce correctif du mariage, et en attendant que l’union libre soit proclamée à Paris comme à Taïti, à ceux qui viennent lui proposer des solutions mixtes, comme le divorce, il ferait volontiers cette réponse célèbre : « Je vous remercie, l’adultère me suffit. » — Il s’arrange d’ailleurs pour tout concilier, la vertu et le reste. Il y a, dans sa correspondance amoureuse, un mélange extraordinaire de pédantisme moral et d’abandon au plaisir, comme quand il s’écrie, en félicitant Mlle Volland d’avoir un amant si vertueux : « Qu’il est doux, ô Sophie, d’ouvrir ses bras quand c’est pour y recevoir et y serrer un homme de bien ! » Le pontife se retrouve ainsi dans les momens les plus inattendus, et tout est pour le mieux.

Mêmes variations sur le thème de l’athéisme. Sa grande prétention est de se passer de Dieu. On connaît l’anecdote que Samuel Romilly cite dans ses Mémoires, et qu’il avait recueillie de la bouche même de Diderot. La scène se passe chez d’Holbach. Hume se trouvait à table à côté du baron ; on parla de la religion naturelle : « Pour les athées, dit Hume, je ne crois pas qu’il en existe, je n’en ai jamais vu. — Vous avez été malheureux, répondit l’autre ; vous voici à table avec dix-sept à la fois. » — Diderot, qui raconte cette même histoire à Mlle Volland, ne doute pas de son athéisme. Mais il faut s’entendre. Souvent quand il s’exalte dans ce sens, c’est généralement par l’effet de l’horreur qu’il a pour tous les cultes et de la haine du prêtre qui le hante et le trouble. Dans la même lettre, il en convient avec son amie : « La notion de Dieu est excellente pour trois ou quatre têtes bien faites, mais funeste pour la généralité… Partout où l’on admet un Dieu, il y a un culte ; partout où il y a un culte, l’ordre naturel des devoirs moraux est renversé, la morale corrompue, etc., etc. » Voilà sa thèse : c’est plutôt celle du fanatique