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qu’il appartient d’en appeler aux siècles futurs ? » — À cette discussion sur le respect et l’amour de la postérité, déjà présente à l’imagination de l’artiste, se mêlent des débats accessoires sur Cicéron et Pline, Pausanias et Polygnote qui ne sont que d’un intérêt secondaire. La discussion, après nous avoir offert l’image d’un grand fleuve d’éloquence, va se perdre dans des épisodes arides, connue le Rhône dans les sables.

Falconet, tout fier d’avoir soutenu cette polémique avec un homme tel que Diderot, voulait en avoir l’honneur devant les grands juges de ce temps. Il fit passer successivement les copies des lettres de Diderot et des siennes sous les yeux de Voltaire, de Catherine. II, de Grimm et du prince Galitzin. Voltaire répondit par un petit billet., du 18 septembre 1767, que Diderot trouva « poli et sec. » Catherine répondit « d’un coin de l’Asie » qu’elle se garderait bien de décider entre deux adversaires si convaincus de leur propre bonne foi. — Alors Falconet voulut en appeler au juge des juges, au public. Diderot lui avait laissé espérer son consentement, mais il hésita au dernier moment, après une révision scrupuleuse qu’il fit de la correspondance, en 1769, pendant un séjour au Grandval, et la publication n’eut jamais lieu, en France du moins, de son vivant. Une copie, conservée par Falconet, fut prêtée à un Anglais, William Tooke, qui la traduisit et la fit paraître à Londres en 1774. — En 1780, sur de nouvelles instances du prince Galirzin, intermédiaire de Falconet, qui revient avec ténacité sur ce projet de publication, tant de fois repris et suspendu, voici comment Diderot répond et s’esquive : « J’ai relu cette correspondance sur la copie qu’on m’envoya de Saint-Pétersbourg, il y a dix ou douze ans. Cette copie est défectueuse en plusieurs endroits ; elle me paraît incomplète en quelques autres… Nous sommes si pauvres, si mesquins, si guenilleux, si négligés et si diffus partout que cela fait pitié… De mon côté, tandis que Falconet faisait ses additions, je faisais les miennes ; quand on écrit au courant de la plume, tout ce qui peut être dit sur une question ou ne vient pas ou ne se dit pas comme il devrait être dit… D’ailleurs cet ouvrage, vaille que vaille, n’appartient pas à Falconet ni à moi, mais à tous les deux, et ne peut honnêtement paraître que du consentement de l’un et de l’autre… Il y a eu pourtant une infidélité de commise. Je ne sais à qui il a confie notre manuscrit, mais on en a fait une traduction anglaise… On peut confier sa bourse à qui l’on veut, mais on ne remet à personne la bourse d’un autre… Enfin, mon prince, on ne trouve pas mauvais qu’un homme se promène chez lui eu robe de chambre et en bonnet de nuit ; mais il faut être décemment dans les rues, en visite, dans une église, en