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problèmes assez vains dans lesquels l’imagination trouve à s’amuser sans grand profit.

Ce qui montre l’intérêt de cette ample et copieuse correspondance, c’est qu’on est forcé d’y revenir, dès que l’on traite un point quelconque de l’histoire de Diderot pendant les quinze années qu’elle embrasse ; c’est là qu’il se livre sans réserve, qu’il raconte à tort et à travers tous les événemens, grands ou petits, auxquels sa vie a été mêlée, nous donnant ainsi au jour le jour le commentaire, le plus naturel, le plus vif et le plus précis de ses écrits, de son labeur quotidien qui est énorme, de ses projets qui sont à la fois mobiles et gigantesques, de ses habitudes d’esprit, de sa vie intime, avec une liberté familière, une verve d’indiscrétion qui ne souffre pas de bornes, écrivant comme il par le et disant lui-même : « Je prends une plume, de l’encre et du papier, et puis, va comme je te pousse. »

La Correspondance avec Falconet est assurément moins importante pour l’histoire de Diderot et moins curieuse par les détails ; elle a son prix pourtant, et l’on en peut juger aujourd’hui qu’elle paraît pour la première fois dans son ensemble, après les publications partielles qui en avaient affaibli l’intérêt. Elle se divise en deux parties : l’une qui va jusqu’au moment où Falconet part pour la Russie ; l’autre qui se continue jusqu’au voyage de Diderot à Saint-Pétersbourg. — Les dix premières lettres avaient été publiées dès 1831 par M. Walferdin, d’après une copie appartenant à la famille de Vandeul. Les vingt-deux dernières ont paru en 1866 et 1867 dans la Gazette des beaux-arts, non sans de graves erreurs et des interpolations qui ont exigé une minutieuse révision, d’après les originaux déposas au musée Lorrain par Mme la baronne de Jankowitz, fille de Falconet. Il manque à cette précieuse collection les dernières lettres échangées entre Falconet et Diderot, relatives à la brouille qui éclata entre les deux amis, et que Mme de Jankowitz a brûlées par un scrupule de piété filiale.

On sait comment naquit cette Correspondance à propos d’une discussion dont le sujet nous paraît aujourd’hui bien vague et abstrait, mais qui eut le pouvoir d’exciter la verve de Diderot et de mettre en mouvement son humeur de polémiste. Falconet, qui nous en a laissé deux copies surchargées de ratures et visiblement destinées, à l’impression, nous raconte l’origine de cette discussion ; « Diderot, le philosophe, et Falconet, le statuaire, au coin du feu, rue Taranne, agitaient la question si la vue de la postérité fait entreprendre les plus belles actions, et produire les meilleurs ouvrages. Ils prirent parti, disputèrent et se quittèrent, chacun bien persuadé qu’il avait raison, ainsi qu’il est d’usage. Dans leurs billets du matin, ils plaçaient toujours le petit mot séditieux qui tendait à réveiller