Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comédie nouvelle. Elle deviendra une sorte de morale en action ; elle montrera à l’homme ses devoirs dans toutes les conditions sociales où il peut se trouver. On lui en fera toucher au doigt les obligations diverses, les avantages, les inconvéniens. — En vérité, ce sera tout à fait réjouissant. Diderot avait bien raison d’inventer ce mot lugubre pour peindre une chose pareille : la comédie sérieuse. Est-ce une comédie ? N’est-ce pas plutôt un sermon dialogué ?

C’est par là que se rejoignent la tragédie bourgeoise et la comédie nouvelle. Leur objet commun doit être d’exciter à la vertu. On ne peut pas imaginer combien l’auteur,

Ami de la vertu, plutôt que vertueux,


s’exalte à cette idée de la prédication dramatique : « L’honnête, l’honnête ! il nous touche d’une manière plus intime et plus douce que ce qui excite notre mépris et nos ris. Poète, êtes-vous sensible et délicat ? Pincez cette corde, et vous l’entendrez résonner et frémir dans toutes les âmes. » L’art dramatique n’est pas le seul à avoir charge d’âmes. Tous les arts doivent se proposer cet objet commun « et concourir un jour avec les lois pour nous faire aimer la vertu et haïr le vice. » Et alors se peint devant ses yeux l’idéal d’un drame dans lequel on discuterait les points de morale les plus importans. Un poète agiterait la question du suicide, de l’honneur, du duel, de la fortune, des dignités. On voit cela d’ici : ce serait une suite de conférences où, sous prétexte de drame moral, toutes les thèses sur la vie et la conduite de la vie seraient successivement agitées et résolues.

Diderot prétend établir une différence entre les genres sérieux, selon qu’ils se rapprochent de la tragédie ou de la comédie. Il est assez difficile de le suivre dans ces subtilités. Selon lui, le Fils naturel est un drame entre la comédie et la tragédie ; le Père de famille, entre le genre sérieux du Fils naturel et la comédie. Et il ne désespère pas de composer un drame qui se place entre le genre sérieux et la tragédie. Je suppose qu’il a voulu parler du Shérif. Il faut le coup d’œil d’un père pour distinguer ces nuances dans des productions si semblables. J’avoue qu’entre le Fils naturel et le Père de famille, il est bien malaisé de voir l’intervalle d’un genre. Dans les deux pièces, c’est le même genre, l’ennuyeux.

On connaît le Fils naturel et le Père de famille. Nous n’avons pas à revenir sur ce que la critique a signalé du vivant même de l’auteur, les mortels défauts de ces pièces, qui n’ont jamais pu vivre que d’une vie accidentelle et factice sur la scène. Et pourtant elles sont bien dans les règles de la poétique nouvelle ; elles sont de tout point conformes à l’idéal que l’auteur s’est tracé. La sensibilité y