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l’Encyclopédie, toutes les pièces importantes de cette histoire, ou plutôt de ce grand procès historique, ayant été publiées depuis longtemps. Nous serons plus heureux pour ce qui a trait à la réforme du théâtre : on nous fournit, dans cet ordre d’idées, quelques documens nouveaux qu’il y a intérêt et plaisir à confronter avec les documens déjà connus.

Vers 1762, cinq années après la publication du Fils naturel, qui avait été fort discuté et médiocrement goûté, au lendemain de la représentation du Père de famille, qui n’avait eu aucun succès à la scène, Diderot, obstiné à son idée d’une réforme dramatique, conçut le projet de réunir en un volume la Sylvie de Landois, qui date de 1741, peut-être la Cénie de Mme de Graffigny, qui est de la même époque, et certainement le Marchand de Londres de Lillo, le Joueur d’Edward Moore, et Miss Sara Sampson, une pièce de Lessing, jouée en 1755 sur le théâtre de Leipsick et traduite par M. Trudaine de Montigny. C’étaient comme autant de témoins que Diderot produisait en faveur de sa théorie auprès du public indifférent et de la critique railleuse. — On a retrouvé, dans les papiers de l’Ermitage, le projet d’une très curieuse préface qui devait accompagner et recommander cette publication. « Voilà, dit le réformateur méconnu, en parlant de la pièce de Lessing, la première tragédie en prose qui ait paru sur quelque théâtre que ce soit. On y brave tous les préjugés à la fois ; elle est en un acte ; elle est entre des personnages subalternes et elle est écrite en prose. » Probablement Lessing ne connaissait pas encore les idées de Diderot quand il écrivit, en 1755, Miss Sara Sampson. Ce n’est que plus tard qu’on trouve chez lui la marque de l’influence qu’il devait profondément subir. En 1760, il traduit en allemand les Dialogues qui suivent le Fils naturel (Dorval et Moi), et c’est de là qu’il tire, de son propre aveu, les principes de sa poétique nouvelle appliquée au théâtre. Ce n’est pas la première fois qu’il arrive qu’un auteur ne reconnaisse clairement ses propres idées qu’à travers l’intermédiaire d’un autre esprit qui le révèle à lui-même, en redoublant pour ainsi dire sa propre image.

Quoi qu’il en soit, Diderot salue dans la pièce de Lessing la promesse du succès qui ne pourra manquer plus tard au Fils naturel et au Père de famille, quand le goût de la nation sera mieux éclairé. Il gémit d’avoir affaire à un public si obstinément aveugle à une telle évidence de beautés nouvelles : c’est pourtant le genre si mal accueilli en France, qui a fait éclore en Angleterre et en Allemagne ces pièces nouvelles qu’il offre en témoignage à son pays, « comme les romans de M. de Marivaux qui ont inspiré Paméla, Clarisse et Grandisson… Nous avons l’honneur d’avoir fait les premiers