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fus longtemps à me demander si je ne devais pas essayer, à mes risques et périls, de rejoindre le quartier-général. L’impossibilité de m’assurer les relais nécessaires pour faire sans m’arrêter l’équivalent de trois journées de marche m’empêcha de réaliser mon désir. Le comte de Paar avait eu la précaution d’assurer ses relais à l’avance ; il arriva heureusement au quartier-général et y apporta le message aux termes duquel l’empereur adhérait pleinement au plan du feld-maréchal.

Le lendemain de son départ, l’intendant-général russe fut pris par les détachemens de cavalerie française qui harcelaient les derrières de la grande armée alliée. La même nuit, vers deux heures du matin, nous reçûmes l’avis que Napoléon avait poursuivi son mouvement vers l’est jusqu’à Saint-Dizier, et qu’en apprenant la marche hardie des armées alliées sur Paris, il s’était jeté sur la route de Bar-sur-Aube. On reconnut alors que le mouvement excentrique de Napoléon n’avait d’autre but que de provoquer la retraite du général en chef de l’armée autrichienne en menaçant sa ligne de communication. Napoléon s’était trompé. A la nouvelle que l’armée alliée s’avançait droit sur Paris, il s’écria : « C’est un beau coup d’échecs ! je n’aurais jamais cru qu’un général de la coalition fût capable de le faire. »

Aussitôt on s’apprêta à quitter Bar-sur-Aube, et à quatre heures du matin l’empereur et ses ministres se mirent en route pour Dijon, protégés seulement par la présence de quelques bataillons qui allaient rejoindre la grande armée, et dont l’un était par hasard arrivé à Bar-sur-Aube la veille au soir. Nous nous rapprochions ainsi de l’armée du prince héritier de Hesse-Hombourg, dont quelques détachemens se trouvaient à Dijon.

Comme l’empereur François ne voulait pas s’arrêter en route, il prit la poste à Châtillon pour arriver plus vite à Dijon. Nous fîmes le chemin dans deux chaises de poste, au milieu d’une population fort étonnée de la présence de sa majesté impériale et de la confiance que lui témoignait l’empereur en voyageant sans escorte. L’arrivée inattendue de l’empereur François à Dijon provoqua des sentimens pareils à ceux qui venaient de se manifester sur son passage. Nous entrâmes dans cette ville à quatre heures du matin, et nous descendîmes au palais de la préfecture. Il fallut nommer l’empereur pour qu’on le laissât entrer. Au bout de quelques heures, une masse de peuple accourut sur la place de la préfecture ; ce fut l’occasion d’une grande manifestation royaliste. Sa majesté fit inviter la multitude à se tenir tranquille et défendit toute démonstration. L’ordre ne fut pas troublé un seul instant.

Le pays à l’ouest de Dijon n’était pas sûr : le général Alix y commandait un corps de gardes nationaux mobilisés. Quelques troupes appelées de différens points et réunies à celles qui étaient