Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps comprenait l’armée prussienne renforcé de deux corps russes. Paris devait être le but de toutes les opérations. Le prince de Schwarzenberg avait à opérer dans la direction de la Seine, le général Blücher du côté de la Marne. Chaque fois que Napoléon offrirait la bataille à l’une ou à l’autre des deux armées, l’armée attaquée la refuserait et attendrait que les autres alliés vinssent à son secours. Le corps du général de Bubna avait pour mission de s’emparer de Lyon, de tenir en échec et de battre l’armée d’Augereau qui lui faisait face.

Un soir, toutes ces dispositions étant arrêtées, l’empereur de Russie me fit appeler. Il commença par m’exposer les raisons majeures qui l’avaient empêché jusqu’alors de s’expliquer vis-à-vis de ses alliés sur ses idées relativement à l’installation du gouvernement futur de la France. Parmi ces motifs, il me cita particulièrement le désir qu’il avait d’apprendre à connaître sur les lieux mêmes les véritables sentimens de la nation française. « Elle est hostile aux Bourbons, me dit l’empereur. Vouloir les ramener sur un trône qu’ils n’ont pas su garder, ce serait exposer la France et l’Europe à de nouvelles révolutions dont les suites seraient incalculables. Choisir un nouveau souverain, c’est pour l’étranger une grave entreprise. Aussi mon parti est-il pris. Il faut que les opérations contre Paris soient poussées vigoureusement ; nous nous emparerons de la ville. A l’approche de cet événement qui doit couronner les succès militaires de l’alliance, il faudra adresser au peuple français une déclaration par laquelle nous lui ferons connaître notre ferme résolution de ne nous mêler ni de la forme de son gouvernement, ni du choix de son souverain. En même temps nous convoquerons les assemblées primaires pour leur demander d’envoyer à Paris le nombre de députés voulu ; ceux-ci auront à se prononcer sur ces deux questions au nom et comme représentans de la nation entière. »

Je ne jugeai pas à propos de réfuter immédiatement un plan qui évidemment n’avait pas été conçu par l’empereur tout seul. Comme il m’importait avant tout de connaître ce plan dans tous ses détails, je me bornai à exprimer le doute que le résultat répondît jamais à l’attente de sa majesté. « Bonaparte, fis-je observer au tzar, a dompté la révolution ; le projet de consulter la nation sur les bases à donner à l’édifice social en France, et de provoquer par là comme une deuxième édition de la convention, déchaînerait la révolution pour la seconde fois ; or ce ne peut être là ni le but de l’alliance, ni le sens de ses engagemens. »

L’empereur répliqua vivement que mes observations seraient justes si les souverains n’avaient pas tous les moyens voulus pour empêcher l’invasion du mal révolutionnaire. « Nous sommes en