Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aidé à sortir, et de l’y bien tenir après, serait une des choses que nous pourrions faire la plus favorable à la politique générale de sa majesté… C’est un objet principal de s’opposer à l’agrandissement du roi de Prusse, de qui on peut juger par l’exemple d’aujourd’hui qu’on ne disposera jamais. »

Le cabinet de Versailles éprouvait les mêmes craintes ; il ne se dissimulait pas que l’alliance anglaise entraînerait le roi de Prusse à se prononcer contre nous ; aussi cherchait-il, comme le conseillait le comte de Broglie, des alliés sur le continent ; mais il ne les demandait ni à la Saxe ni à la Pologne, faible rempart contre l’ambition de Frédéric II ; il se liait avec l’Autriche par le traité de Versailles et, en ne stipulant rien pour d’anciens alliés, tels que les Polonais, il les livrait d’avance aux convoitises des deux empires du nord. Derrière l’Autriche le comte de Broglie entrevoyait les Russes entrant à Varsovie avec la complicité de la France. C’était l’avortement des desseins secrets de Louis XV, la destruction inévitable de l’influence française en Pologne et une menace de ruine pour la Pologne elle-même. Ne faisait-on pas un métier de dupe en jouant le jeu de l’Autriche et de la Russie par défiance du roi de Prusse ? Le comte de Broglie eût été plus malheureux encore s’il avait su que la diplomatie secrète, tout en lui recommandant d’entretenir chez les patriotes polonais l’espoir d’être soutenus et protégés par la France, envoyait à Saint-Pétersbourg un ministre aimé de l’impératrice Elisabeth et uniquement chargé de lui plaire, sans qu’une seule réserve fût stipulée en faveur des Polonais.

Pendant que la politique française s’agitait ainsi au hasard, sans franchise et sans fermeté, le roi de Prusse se préparait à l’action, en homme qui sait ce qu’il veut, qui, au lieu d’attendre et de subir les événemens, les devance et les dirige. Le 18 juillet 1756, il annonçait au ministre d’Angleterre accrédité près de lui qu’il allait demander des explications à Vienne et que, si on ne lui répondait pas d’une manière satisfaisante, il en obtiendrait de plus claires, les armes à la main. Le ministre anglais se récriant sur le danger de se donner l’apparence des premiers torts et de provoquer peut-être l’intervention de la France : « Regardez-moi en face, lui dit le roi en se levant brusquement ; que voyez-vous sur mon visage ? Ai-je un nez fait pour porter des nasardes ? Pardieu ! je ne m’en laisserai pas mettre. Cette dame (Marie-Thérèse) veut la guerre, elle l’aura. Mes troupes sont prêtes ; il faut rompre la conjuration avant qu’elle soit trop forte. Je connais le ministère français ; il est trop faible et trop borné pour sortir des griffes de l’Autriche. Le comte de Kaunitz les aura entraînés où il lui convient avant qu’ils aient ouvert les yeux. Ma situation est entourée de périls, je ne puis en sortir que par un coup d’audace. »