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M. le duc de Broglie recompose dans le Secret du roi une page de notre histoire beaucoup plus honorable pour les membres de sa famille que pour le souverain auquel ils ont obéi. Qu’était-ce au juste que le secret du roi ? On le savait déjà en partie, grâce à une publication de M. Boutaric, sous-directeur aux archives de l’état[1]. On connaissait l’existence d’une diplomatie occulte, d’une sorte de ministère des affaires étrangères clandestin confié par le roi Louis XV au comte de Broglie, à l’insu des ministres ; mais les pièces principales manquaient au dossier. M. Boutaric n’avait publié que les ordres ou les réponses du roi. La correspondance des agens diplomatiques n’y était pas jointe. C’est cette correspondance que M. le duc de Broglie, guidé par les indications que lui fournissaient les papiers de son père, a eu la patience de rechercher et le bonheur de découvrir au ministère des affaires étrangères. Il en a tiré deux volumes spirituels, instructifs et fort habilement composés.


I

On aurait mauvaise grâce à lui faire un reproche de penser trop de bien de ses ancêtres. Il serait étrange qu’il parlât d’eux avec une affectation d’impartialité indifférente. On s’aperçoit qu’il les aime et qu’il est fier de porter leur nom ; mais il faut dire à sa louange que, s’il ne néglige rien de ce qui peut les faire valoir, il ne nous dissimule non plus aucun de leurs travers. Pourvu qu’on lui accorde qu’ils ont eu du talent et du patriotisme, il passe volontiers condamnation sur les défauts de leur caractère. Il nous les montre amoureux du bien public et dévoués au service du roi ; mais il nous apprend lui-même qu’ils étaient difficiles à vivre, entiers, opiniâtres et durs. Ce sont surtout des âmes ambitieuses ; ils ne sacrifient point aux grâces ; on ne leur attribue aucun de ces entraînemens aimables, aucun de ces engagemens tendres qui adoucissent en général les traits des politiques du XVIIIe siècle. Passionnés pour leur propre grandeur, ils vont droit devant eux vers le but qu’ils poursuivent, sans se laisser arrêter par les séductions de la route. M. le duc de Broglie, qui se reconnaît bien de leur race, raconte spirituellement qu’un jour, M. Thiers lui reprochant d’avoir un caractère difficile, il lui répondit : « Monsieur le président, ce doit être un défaut héréditaire, car le roi Louis-Philippe adressait déjà le même reproche à mon père et le roi Louis XV à mon bisaïeul. »

L’ambition dans les familles aristocratiques n’est pas toujours personnelle ; ceux qui ne pensent point à eux-mêmes pensent à la gloire de leur nom et à la fortune de leurs parens. Le moins

  1. Correspondance secrète inédite de Louis XV sur la politique étrangère avec le comte de Broglie ; Paris, 1866.