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toute industrie qui promet de soutenir un jour la libre concurrence, doit être protégée dans une juste mesure durant sa minorité, qu’enfin les représailles contre les étrangers sont permises en matière commerciale, lorsqu’elles ont chance de réussir et d’atteindre leur but, du moment, en un mot, que protection ne serait refusée qu’aux industries qui n’en ont pas besoin, ou à celles qui ne pourraient subsister qu’au détriment des consommateurs, tant actuellement qu’à l’avenir, sur quoi disputerait-on ? » Hélas ! dirons-nous, on disputerait encore, sur l’application, parce qu’il y a toujours loin de la théorie à la pratique ; mais au moins on serait d’accord sur les principes, tandis qu’aujourd’hui, à voir la vivacité de la lutte, il semble qu’il n’y ait point de principes reconnus ; chacun tire de son côté, pousse ses argumens à l’extrême, et on assiste à une véritable anarchie économique.


II

Ce traité du duc de Broglie sur la liberté commerciale a incontestablement beaucoup de valeur, et, pour les esprits désintéressés et politiques, il est bien près de dire le dernier mot sur la question. Cependant ce n’est pas, dans le livre que nous avons sous les yeux, le chapitre qui nous a le plus intéressé. Il y en a un autre sur les impôts et les emprunts qui nous a plus particulièrement frappé. Après tout, sur la liberté commerciale, malgré l’agitation des esprits, la lumière est à peu près faite, Tout homme sensé et de bonne foi apprécie les avantages de cette liberté et ne discute plus que sur des questions de mesure et d’opportunité. Il n’en est pas de même sur les impôts et les emprunts. Ici, comme nous l’avons écrit bien souvent, tout est obscur et incertain. Adam Smith, avec son esprit philosophique, a bien posé en fait d’impôts des règles qui passent pour fondamentales, mais ces règles n’embrassent pas tous les cas et ne disent pas toujours nettement ce qu’on aimerait à savoir ; par exemple, on n’y voit pas lesquels il vaut mieux choisir des impôts directs ou des impôts indirects. L’auteur semble bien, il est vrai, se prononcer pour les derniers ; mais, comme en fait d’impôts de consommation, il n’admet que ceux qui frappent les objets de luxe et qu’on ne peut en obtenir que des produits insignifians pour faire face à des budgets qui deviennent de plus en plus gros, il en résulte que la question n’est pas tranchée. Cette lacune s’explique par l’époque où vivait Adam Smith. Ce qui le frappait alors, c’était la nécessité d’élever beaucoup les tarifs pour réaliser une contribution tant soit peu importante, et il craignait qu’en les élevant on n’apportât un certain trouble dans l’industrie et qu’on n’arrêtât la consommation ; il n’admettait