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adresse en second lieu aux jurés : Y a-t-il des circonstances aggravantes ou des circonstances atténuantes ? — Nous ne saurions accorder à M. de Holtzendorf la suppression qu’il réclame des circonstances atténuantes ou aggravantes, car ces circonstances ne sont autres au fond que des mobiles plus ou moins incompatibles avec l’association humaine et dont il faut bien mesurer la valeur antisociale. Sans doute la question est le plus souvent mal posée par les tribunaux ; les motifs antisociaux étant presque toujours en même temps les motifs immoraux par excellence, la question dégénère trop souvent en appréciation de la moralité absolue. Les jurés, les juges et les accusateurs ne devraient jamais oublier que leur seule tâche est d’assurer les conventions et contrats formels ou implicites qui existent entre les citoyens, et que le for intérieur ne leur est pas ouvert, sinon dans la mesure où la question de moralité se confond avec celle de sociabilité.

Tel est, selon nous, l’esprit qui doit diriger soit le législateur, lorsqu’il classe les crimes selon leur influence plus ou moins nuisible sur l’organisme social, soit le juge, lorsqu’il apprécie les actes et les mobiles des volontés d’après leur opposition plus ou moins grande avec le contrat social. En dehors de ces théories scientifiques, les législations et les tribunaux risquent de s’égarer, et la nécessité d’y introduire les données exactes de la science sociale éclate à la fin dans la pratique même par le conflit des lois et des mœurs, des législateurs et des juges.


En résumé, c’est pour changer les collisions en union qu’on institue les lois publiques et la force publique, la législation par voie de libre consentement et l’exécution de la loi par voie de contrainte. Réduire ainsi les conflits d’action à des conflits d’opinions et les conflits d’opinions à un accord unanime des volontés, voilà la méthode que, dans la pratique comme dans la théorie, se propose la science sociale contemporaine. La contrainte ne nous a paru que la dernière ressource et le moyen extrême pour résoudre les collisions ; loin d’être l’essence du droit, comme l’ont cru quelques philosophes, elle en est la limite, elle en est l’obstacle ; mais l’institution de la justice pénale doit tourner les obstacles mêmes au profit du droit et changer la force, ennemie de la liberté, en auxiliaire de la liberté. Il faut, en organisant la contrainte pénale, pouvoir invoquer la liberté de tous, y compris la liberté même de celui qui subit la contrainte. On y arrive par la pénalité contractuelle, dont nous avons vu le véritable fondement. En entrant dans la société, par une sorte de pacte tacite, je me suis engagé à obéir aux lois que moi-même, en tant que citoyen, je contribue à