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rejetterons de même le critérium proposé par M. Renouvier : « la responsabilité de l’accusé, » « l’imputabilité fondée sur le libre arbitre. » Ce n’est ni aux mobiles moraux du légiste allemand, ni à la responsabilité morale du philosophe français que nous demanderons la vraie règle de la législation pénale. A notre avis, il y a ici deux élémens à prendre en considération, tous les deux purement sociaux ; 1° Le degré plus ou moins dangereux pour la société de l’acte considéré en lui-même (assassinat, vol, fraude, etc.) ; 2° le degré plus ou moins dangereux pour la société de la volonté qui a produit l’acte (volonté de tuer pour voler, de tromper dans les contrats de vente et d’achat, etc.) Ces deux élémens de la criminalité répondent aux deux points de vue, déjà signalés plus haut, de l’organisme social et du contrat social ; leur réunion dans la théorie de la pénalité forme le caractère distinctif de la doctrine que nous proposons. En premier lieu, d’après cette doctrine, pour apprécier le caractère plus ou moins malfaisant des actes en eux-mêmes, le jurisconsulte devra rechercher leurs effets sur la vie et l’organisme de la société, comme un médecin physiologiste recherche l’effet d’une maladie ou d’un poison sur les corps vivans. Il est des crimes qui ne tendent à rien moins qu’à détruire le lien organique de la société, comme l’assassinat ; il en est d’autres qui ne font que le relâcher, comme la fraude. C’est en suivant les effets des actions perturbatrices à travers tous les organes sociaux, leurs conséquences politiques, économiques, juridiques, leur influence sur les différentes unités sociales (individu, famille, associations privées, état), qu’on pourra espérer d’atteindre une classification des délits de plus en plus naturelle et scientifique. Mais ce point de vue objectif et en quelque sorte matériel ne saurait suffire à lui seul. Nous savons que, si la société est un organisme, elle est essentiellement un organisme qui a conscience de lui-même, qui se fait et se crée lui-même par le concours des volontés. Les volontés sont donc les élémens primordiaux et comme les cellules composantes de ce grand corps. Dès lors il devient nécessaire au criminaliste d’apprécier le caractère plus ou moins malfaisant de tel état des volontés, leur tendance plus ou moins grande à dissoudre le lien psychologique et moral de la société humaine, je veux dire le contrat. La volonté la plus dangereuse est évidemment celle qui tend à méconnaître le plus grand nombre d’obligations explicites ou implicites, à rompre le plus grand