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et quel professeur ! D’autres ennuis l’attendaient. Si manifestes que fussent les dispositions de Géricault pour la peinture, son père se refusait obstinément à ce qu’il fût peintre. Il prétextait, comme beaucoup de pères l’eussent fait à sa place, que ce n’est pas là un état sérieux. Ce n’était point l’avis de Napoléon Ier, qui depuis son avènement récompensait si magnifiquement David, Gros, Gérard, Guérin ; mais c’était l’avis de M. Géricault père. D’une nature très douce, très aimante et quelque peu timide, Géricault ne voulut pas entrer en rébellion ouverte contre son père. Il eut recours à un stratagème. Un oncle qui avait beaucoup d’affection pour le jeune homme le prit chez lui, disant qu’il l’occuperait à ses affaires, et au lieu de passer ses journées chez son oncle à aligner des chiffres, Géricault alla peindre dans l’atelier de Carle Vernet. L’auteur de la Bataille de Marengo était alors à l’apogée du succès. On le saluait comme le premier peintre de chevaux de son temps. Ce fut sans doute à ce titre que Géricault le choisit d’abord pour maître. Carle Vernet cependant, avec son dessin élégant mais chétif, son coloris vif mais sans vigueur, sa touche facile mais un peu creuse, n’était pas le maître qu’il fallait à Géricault. Celui-ci reconnut bien vite la méprise que son amour des chevaux lui avait fait commettre. Au commencement de 1810, il quitta l’atelier de Vernet pour entrer dans celui de Guérin.

Le sage Guérin ne semblait pas non plus devoir être le maître du fougueux peintre de la Méduse. Il faut reconnaître toutefois que, si les dons de la couleur, de l’expression et du mouvement manquaient à Guérin, c’était du moins, pour emprunter une épithète au langage de la critique littéraire, un impeccable grammairien. Les leçons d’un tel homme pouvaient être fécondes. D’ailleurs Guérin, qui n’était pas sans doute le peintre le plus à la mode dans le monde des artistes et des amateurs, était le professeur le plus à la mode parmi les jeunes peintres. Il avait dans son atelier les deux Scheffer, Henriquel, Dedreux-Dorcy, Jadin, et Eugène Delacroix allait y entrer quelques années plus tard. C’est de l’atelier de Guérin, le plus classique des peintres de l’empire, que devait partir le grand mouvement romantique. Guérin, nous l’avons dit, avait au demeurant plus d’une des qualités qui font un bon maître et un peintre médiocre. Ses élèves, Géricault le premier, étaient dociles à ses leçons, et Guérin, autant qu’il le pouvait, comprenait Géricault. Il disait bien parfois à son élève : « Votre coloris n’est pas vrai ; tous ces contrastes de clair-obscur me feraient croire que vous peignez au clair de la lune. Vos académies ressemblent à la nature comme des boîtes à violon ressemblent à des violons. » Au fond il reconnaissait quel peintre serait peut-être Géricault. C’est avec raison que M. Charles Clément se refuse à croire que Guérin ait dit un jour