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secours que l’ennemi suit de près : quel nuage de voiles, dans le premier cas, on aurait déployé ! quelle consommation de houille on ferait dans le second ! L’anxiété cependant dut être plus fiévreuse encore durant cette longue joule où le céleuste inquiet continua vraisemblablement de marquer plus d’une fois la cadence, quand déjà l’aviron, lassé et insensible au rythme, ne savait plus que battre l’onde à coups inégaux. De Syracuse au point le plus rapproché de la côte d’Afrique, quel que soit le chemin que l’on prenne, la distance ne saurait être inférieure à 75 ou à 80 lieues. Immense traversée pour des bâtimens à rames ! Le chevalier de Cernay s’applaudit comme d’un tour de force d’avoir osé faire voguer ses forçats d’une haleine d’Antibes à Monaco, en allant à Gênes, et du mouillage de Cavalaire à la petite passe des îles d’Hyères au retour. On ne saurait admettre que le passage de la Sicile en Libye se soit accompli sans qu’à diverses reprises le mât ait été dressé et la voile livrée à un vent favorable. L’opération était laborieuse à bord de nos quinquérèmes ; je suppose que les anciens usaient de mâts moins lourds et de voiles moins vastes. Je remarque, il est vrai, de bien longues antennes à bord des navires que la princesse Haïtschopou, fille de Thoutmôs Ier, envoya, vers le IXe siècle avant notre ère, explorer dans la mer Erythrée les Échelles de l’Encens ; mais ces navires dont je dois la connaissance à une gracieuse communication de M. Maspero, ne sont ni des trières, ni des quinquérèmes ; ce sont bien plutôt de grands pros malais. Les navires d’Agathocle n’auraient pu s’embarrasser d’une semblable voilure qu’à la condition de vouloir combattre, comme le firent nos galères, les mâts hauts, et telle ne paraît pas avoir été la coutume des anciens. Tout nous donne à penser que les anciens se faisaient un jeu du mâtage et du démâtage de leurs vaisseaux longs ; dès que le vent s’annonçait contraire, ils couchaient à la fois vergues et mâts sur le pont. Nous nous contentions, au XVIe et au XVIIe siècle, d’abaisser nos antennes. « C’est l’usage des galères, dit un des nombreux manuels de manœuvre qui nous sont restés de cette époque, d’abord que je vent calme, d’amener les voiles. Ce manège se fait trop souvent peut-être, car il fatigue la chiourme presque autant que la rame. La chiourme aimerait mieux voguer toujours tout avant, sans discontinuer, que d’être obligée de hisser cinq ou six fois les antennes de mestre et de trinquet. » Sait-on quelle était la longueur de ces vergues sur les galères subtiles ? 107 et 96 pieds. Les basses vergues d’un vaisseau de 74 n’ont jamais dépassé 90 et 82 pieds. J’estime trop les anciens, ou du moins les Grecs, pour croire qu’ils soient tombés, avant d’avoir l’esprit gâté par l’Asie, dans de pareilles exagérations.