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partisans de son gouvernement plus ou moins direct, que ses mandataires ne sont que de simples commis chargés d’exécuter ses volontés. Le suffrage universel n’a ni desseins arrêtés ni volontés réfléchies sur la manière de gouverner ; il n’a que des besoins et des sentimens qui le guident dans le choix des hommes qu’il met à la tête des affaires. Ce choix est plutôt déterminé par la connaissance plus ou moins directe des personnes que par le discernement des idées. C’est là, par parenthèse, ce qui fait que le scrutin uninominal est beaucoup plus conforme que le scrutin de liste au tempérament du suffrage universel, et que, si l’on veut que la masse ne finisse pas par abandonner les comices, il faut maintenir la loi électorale actuelle. Non, le peuple ne prend pas ses mandataires pour des commis ; il les prend pour des tuteurs qui ont la tâche de tout faire, de tout diriger, de tout surveiller dans la gestion des affaires de ce maître incapable de les faire lui-même, et le plus souvent de les bien comprendre ; parfois même, dans les grands périls, il les prend pour des sauveurs qu’il est trop heureux de rencontrer. À eux donc, et à eux seuls, de faire la besogne, toute la besogne ; si le peuple se trouve bien de leur tutelle, il les réélit ; s’il s’en trouve mal, il en choisit d’autres. Quand parfois, trop souvent même, il se laisse égarer par des préjugés qu’il prend pour des vérités, ou par des promesses qu’il prend pour des réalités, il ne manque jamais, après une plus ou moins longue expérience, de rentrer dans la voie de salut d’où les partis l’ont fait dévier. C’est donc une injure à faire au suffrage universel que de dire qu’il vote toujours bien ou mal sans savoir ce qu’il fait. Il n’est pas sourd et aveugle à ce point. Ce qui est vrai, c’est que, s’il a le sentiment de ses intérêts, de ses besoins, et même de grandes et nobles fins qui dépassent la sphère de ses besoins et de ses intérêts, il est tout à fait ignorant des moyens de réaliser le programme de ses vagues aspirations.

S’il en est ainsi, il ne faut parler ni de gouvernement direct ou indirect du peuple, ni de mandat impératif, ni de ratification populaire des décisions du parlement ou des actes du pouvoir exécutif, ni d’appel au peuple, ni de plébiscite, ni de rien qui y ressemble, sur des questions de politique proprement dite, dans une démocratie républicaine. Le gouvernement direct ne pouvait convenir qu’aux petits états de l’antiquité ; et encore quel désordre et quelle anarchie ! La plus petite commune, dans nos sociétés modernes, ne pourrait le supporter, et ce serait déjà beaucoup trop que de laisser assister le public aux délibérations d’un conseil municipal. Le système représentatif est une nécessité des grands états modernes qui veulent un gouvernement libre. La ratification populaire n’est qu’une consécration dérisoire, le suffrage universel ne pouvant comprendre